Benjamin Moignard est directeur de l’Observatoire universitaire international éducation et prévention, université Paris-Est-Créteil.
Vous publiez, dans la revue Diversité de mars, une étude qui souligne l’usage « ordinaire » de l’exclusion temporaire des élèves. Quels en sont les principaux résultats ?
Nous avons recensé les exclusions temporaires d’élèves en 2012-2013 dans 76 collèges de trois départements d’Ile-de-France (la Seine-Saint-Denis, l’Essonne et la Seine-et-Marne), dont 28 relevant de l’éducation prioritaire. Au total, près de 64 000 journées d’enseignement n’ont pas été dispensées durant cette année scolaire. Certains mois, les exclusions temporaires représentent l’équivalent d’un collège où tous les élèves seraient, le même jour, mis à la porte ! Ce collège fantôme est révélateur d’un usage ordinaire de l’exclusion. Il y a un vrai décalage entre cette réalité et les textes. Depuis les années 2000, ceux-ci incitent à mettre en place des sanctions éducatives plutôt que punitives - le dernier exemple en date étant le décret de juin 2011, qui affirme le caractère « exceptionnel » de l’exclusion temporaire. Force est de constater que ces dispositions sont peu suivies des faits.
Cette sanction est-elle de plus en plus fréquente ?
Aucun chiffre ne permet de mesurer cette évolution. En revanche, il y a des signaux : les rapports de la médiatrice de l’éducation nationale, de plus en plus saisie par des parents à la suite d’exclusions, ou encore le nombre croissant de collectivités territoriales qui, inquiètes du nombre d’élèves à la porte de leur collège et sous couvert de lutte contre le décrochage scolaire, mettent en place des dispositifs pour prendre en charge les élèves exclus.
Votre recherche montre que l’exclusion varie selon les mois ou les classes. Qu’avez-vous observé ?
L’usage de l’exclusion est réduit en début et en fin d’année [3 journées d’exclusion prononcées par collège et par jour en moyenne en septembre, 2 en juin], avec tout de même rapidement un pic en octobre [9 journées]. Les élèves de 6e et de 5e sont surreprésentés parmi les élèves exclus au cours de ce mois, comme si une forme de pression s’exerçait sur ces jeunes collégiens qui doivent intégrer rapidement les règles d’une scolarité au collège. Février et mars sont également sensibles [entre 9 et 11 journées d’exclusion prononcées quotidiennement en moyenne]. Ces mois correspondent à une période de l’année que les élèves et les professeurs décrivent souvent comme délicate, marquée par la fatigue, la montée en pression par rapport aux résultats scolaires... Dans la plupart des collèges, l’exclusion n’est pas assortie de mesures d’encadrement à l’intérieur du collège. Les élèves exclus sont par conséquent renvoyés chez eux. Seule une dizaine d’établissements de l’échantillon ont très peu recours à l’exclusion - de l’ordre d’une trentaine de journées d’exclusion prononcées dans l’année. Enfin, nous n’observons pas de différence significative selon que les établissements sont classés ZEP ou non. Autrement dit, la composition sociale du public scolaire ne semble pas influer sur le volume des exclusions.
Quels sont les motifs les plus courants ?
Ils sont pour la plupart anodins : retard, oubli de matériel, bavardage, insolence « modérée »... Les établissements parlent de « poly-exclus » pour désigner les récidivistes. Près d’un tiers des élèves temporairement exclus le sont plus d’une fois dans l’année (20 % à trois reprises au moins).
Ces données sont-elles inquiétantes ?
Elles sont inquiétantes dans ce qu’elles disent de l’état de l’école, du climat scolaire, de la relation élèves-professeurs... Elles interpellent sur les difficultés d’exercice du métier d’enseignant, sur le sentiment d’affaiblissement de leur légitimité professionnelle, au point que le recours à l’exclusion est devenu un moyen de restaurer son autorité. Les professeurs ont conscience que cette sanction entre en contradiction avec le projet républicain de scolarisation de tous les élèves, mais ils se disent souvent démunis pour trouver d’autres solutions. Face à eux, la direction et la vie scolaire ont du mal à faire accepter des sanctions plus légères ou éducatives. La gestion administrative d’un flux d’exclus ne permet d’ailleurs pas aux conseillers principaux d’éducation d’assurer un suivi éducatif de ces élèves.
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