Enseignante de SES, Catherine Nave-Bekhti est depuis décembre 2016 secrétaire générale du SGEN-CFDT
Emmanuel Macron a-t-il remis les clés de l’éducation nationale à la droite ?
Cela peut donner cette impression, puisque Jean-Michel Blanquer a été directeur général de l’enseignement scolaire quand la droite était au pouvoir, mais aussi lorsqu’on observe les premières nominations à son cabinet. Cela étant, il nous est répété que l’heure est bien à appliquer le programme d’Emmanuel Macron. Cependant, nous avons encore beaucoup d’interrogations. L’exemple du dispositif « Plus de maîtres que de classes » dans le primaire montre que ce qui était dit il y a deux semaines n’est pas ce qui est affirmé aujourd’hui. Cela a évolué dans le bon sens par rapport à nos attentes, puisque les dédoublements de classes de CP n’impliqueraient plus la suppression du dispositif, mais c’est encore flou sur les conditions de mise en œuvre. Sur « Devoirs faits » aussi, au-delà de l’annonce, il faut voir comment cela sera financé et organisé. Mais les annonces les plus récentes sur le redoublement, en contradiction avec les cycles, et l’interdiction du téléphone portable contredisent le mot d’ordre affiché d’une école moderne et qui donne confiance en eux aux élèves. Pour le collège, il semble que le rétablissement des enseignements bilangues et des langues anciennes sur le modèle d’avant 2012 se traduise par l’absorption de tout ou partie de la marge d’autonomie laissée aux établissements. On revient sur les dispositifs qui favorisent le travail en équipe et les projets interdisciplinaires que le ministre semble pourtant vouloir promouvoir. Les dérogations à la réforme des rythmes pourraient ouvrir la porte à une semaine de 4 jours sur 144 jours par an, et tourner ainsi le dos aux projets éducatifs de territoire... A la clé, c’est l’intensification pour les personnels comme pour les élèves. Peu de temps est laissé au dialogue social sur des textes qui ont vocation à s’appliquer dès la rentrée. On met de nouveau le système en tension et on balaie d’un revers de la main le travail des équipes. Nous avons trouvé le ministre à l’écoute, mais beaucoup de questions restent en suspens et la préparation des premiers textes réglementaires est à rebours de ce que nous attendons du dialogue social.
Comment recevez-vous les multiples allusions au « pédagogisme » dans des propos désormais officiels ?
Nous avons fait part au ministre de notre désaccord sur cette référence, un peu insistante, à ce que serait le « pédagogisme », dans ses propos et plus encore dans ceux de son directeur de cabinet. Ce terme véhicule une certaine vision du métier qui nous paraît préoccupante. On voit bien, dans les débats sur l’éducation, qu’il n’est pas employé seulement pour évoquer les éventuels dévoiements de la pédagogie, mais comme un faux nez pour faire croire qu’il y aurait d’un côté des traditions à perpétuer sans les questionner et de l’autre des pédagogies modernes qui seraient néfastes. De plus, certaines pratiques pédagogiques renouvellent, parfois en utilisant le numérique, des courants beaucoup plus anciens. Parler de « pédagogisme », c’est donner de la légitimité à ceux qui critiquent l’approche pédagogique de l’école, alors qu’il nous semble que l’enseignant a forcément une double expertise : celle de son champ disciplinaire mais aussi une expertise pédagogique, c’est-à-dire la capacité de concevoir la meilleure manière de mener ses élèves vers l’acquisition des connaissances et des compétences, ainsi que de s’interroger sur ses pratiques. Donc, la pédagogie n’est pas un gros mot. Elle est même au cœur de la professionnalité enseignante.
Pour Jean-Michel Blanquer, cette professionnalité ne doit-elle pas aussi s’appuyer sur la science ?
Nous sommes sensibles à une partie de son discours et de ses écrits sur le fait que l’école a tout intérêt à se nourrir des apports de la recherche, mais la recherche qui intéresse l’éducation n’est pas seulement dans les neurosciences, et encore moins dans un seul courant des neurosciences. Si l’on veut s’appuyer sur la science, alors il faut tenir compte des controverses scientifiques. Et on ne peut pas non plus, au prétexte qu’existent les neurosciences, éliminer d’un revers de la main l’apport de la sociologie, de la psychologie et des sciences de l’éducation.
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