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Sylvie Plane : « Il est plus important de comprendre le sens d’une phrase que de mettre des étiquettes »

Sylvie Plane est professeure de sciences du langage et vice-présidente du Conseil supérieur des programmes (CSP)

Quelle est votre définition du prédicat, et quelle est l’utilité de cette notion pour de jeunes enfants ?
Il existe plusieurs définitions du prédicat, car comme toutes les notions « basiques » elle a suscité des débats, et cela depuis très longtemps. Il en est de même, malgré leur apparente et trompeuse simplicité, de la notion de « phrase » ou de « verbe ». Pour les programmes scolaires, il ne pouvait être question de reproduire la complexité de ces débats de spécialistes. La définition qui a été retenue est celle qui fait le plus consensus, depuis la grammaire de Port-Royal au milieu du XVIIe siècle jusqu’au Bon usage de Grévisse : on considère qu’une phrase simple est composée de deux éléments, le sujet, c’est-à-dire ce dont on parle, et le prédicat qui est ce qu’on en dit. Ainsi, dans la phrase « Ce jeune pianiste vêtu de façon bizarre a joué avec brio ce concerto de Rachmaninov », le sujet est « Ce jeune pianiste vêtu de façon bizarre » et le prédicat est « a joué avec brio ce concerto de Rachmaninov ». Pour comprendre la réintroduction récente de cette notion dans les programmes scolaires francophones, il faut examiner de plus près à quoi sert la grammaire. La grammaire française a deux fonctions principales : d’une part, fournir des repères et des règles pour orthographier, d’autre part, aider à comprendre et à produire des textes. Mais ce ne sont pas exactement les mêmes outils d’analyse dont on a besoin dans les deux cas, si bien que l’école, depuis ses origines, fait face à un dilemme : privilégier l’orthographe ou le sens ? Prenons l’exemple : « Une troupe d’enfants éparpillés envahit le salon ». Si je m’intéresse uniquement aux accords grammaticaux, je vais écrire correctement cette phrase en mettant le verbe au singulier. Mais si j’essaie de me représenter la scène, je vois bien qu’il est question de plusieurs individus et je suis embarrassée au moment d’écrire le verbe. L’introduction du couple « sujet/prédicat » permet aux élèves de découper une phrase en grands blocs, avant d’entrer dans les détails, ce qui les aide à mieux appréhender comment se construit le sens de la phrase.

Son introduction dans les programmes du cycle 3 (CM1-6e) ne fait pas l’unanimité. Il en va de même pour la notion large de « complément du verbe » et pour le renvoi du complément d’objet direct (COD) à la classe de 5e. Alors que l’enseignement de la langue française est à la peine, n’aurait-il pas été plus sage pour le CSP d’éviter ces changements ?
Le COD fait partie de l’attirail classique, c’est vrai, mais sa dénomination ne permet pas de comprendre ce qu’il désigne. Le complément de nom complète le nom ; le complément d’adjectif complète l’adjectif ; le complément d’objet complète-t-il l’objet ? Non, il est lui-même l’objet et il complète le verbe. L’appeler complément de verbe rend plus compréhensibles les rapports au sein de la phrase. Ce n’est qu’en 5e, niveau où, traditionnellement, on apprend les terribles accords du participe passé employé avec avoir, qu’on a besoin de distinguer entre complément direct et complément indirect. Auparavant, il est intéressant que les enfants observent la diversité des constructions possibles avec certains verbes et les différences de sens qu’elle permettent : « tenir » n’a pas le même sens dans « il tient la main de son amie », « il tient de sa mère », « il tient à son livre » ou « cela tient à son caractère ». Il est plus important de comprendre cela que de mettre des étiquettes.

En quelques jours, avec l’appui de grands médias et le relais de certains politiques, l’idée, lancée par une blogueuse, que l’éducation nationale pratiquerait une « grammaire négociée » avec les élèves s’est imposée dans les esprits. Qu’en dites-vous ?
Drôle d’idée qu’une grammaire négociée ! Au mieux, il s’agit d’une confusion avec la « dictée négociée », exercice rigoureux et absolument pas laxiste ; au pire, c’est de la mauvaise foi. Quand un énoncé est erroné, il est erroné ! En revanche, il faut s’interroger sur l’origine des erreurs pour y remédier. Les recommandations vont dans ce sens, elles ne prescrivent pas de considérer comme exacte une formulation qui ne le serait pas.

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