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Méthodes d’apprentissage de la lecture  : le débat est relancé

La plus grande étude jamais réalisée en France sur l’apprentissage de la lecture au cours préparatoire est sur le point d’être rendue publique. Ses auteurs veulent contribuer à un débat rationnel, sur un sujet traditionnellement propice aux débordements polémiques.


Un « serpent de mer » s’apprête à ressurgir des profondeurs des controverses éducatives  : la question des méthodes d’apprentissage de la lecture.
Encore  ? Oui, encore. Mais ce retour serait-il possible si les mauvais lecteurs n’étaient pas, selon les estimations, entre 15  % et 20  % à l’entrée au collège  ? Aussi lassantes soient-elles, les polémiques ont donc un fond de légitimité. Elles sont l’écume de débats rationnels. De ce point de vue, il est permis d’espérer  : l’étude qui doit être rendue publique cette semaine par l’Institut français de l’éducation est la plus importante jamais réalisée en France pour « évaluer l’influence des pratiques d’enseignement de la lecture et de l’écriture sur les apprentissages des élèves au cours préparatoire ». Sous la conduite de Roland Goigoux, professeur à l’université Clermont-II, elle a mobilisé une équipe de 60 chercheurs et leurs doctorants. Observées durant l’année 2013-2014 dans 131 classes regroupant 2 507 élèves, documentées par plus de 3000 heures de vidéo, les pratiques des enseignants ont été analysées dans le but d’identifier « les plus bénéfiques aux élèves socialement défavorisés, ceux dont les premiers apprentissages sont le plus dépendants de l’intervention scolaire ».
Sans dévoiler leurs conclusions, les auteurs ont prévenu que les seules variables de la méthode revendiquée par l’enseignant (plus ou moins « globale » ou « syllabique », selon le langage courant) ou du manuel utilisé ne sont pas pertinentes à leurs yeux pour mettre en évidence des « relations causales » en termes de résultats. Ils se proposent néanmoins de distinguer « si les maîtres qui consacrent l’essentiel de leur temps d’enseignement au décodage » obtiennent de meilleurs résultats que « ceux qui accordent une place importante à une pédagogie de compréhension des textes ou ceux qui mènent de front enseignement de la lecture et de l’écriture ».
L’ampleur inédite du travail réalisé et l’engagement de ses auteurs à l’accomplir « sans a priori » en font d’ores et déjà une référence de poids dans la problématique de l’entrée en lecture des écoliers. De là à apaiser une fois pour toutes les débats, il y a une marge. Le paysage scientifique sur ces thèmes est divers. Respecté, Roland Goigoux y incarne néanmoins une orientation parmi d’autres, éloignée par exemple des thèses de Stanislas Dehaene, professeur au Collège de France et figure de proue des neurosciences, qui traite de ces sujets sous l’angle du fonctionnement du cerveau. Les auteurs de l’étude déclarent être de ceux qui « soutiennent qu’un enseignement explicite, systématique et précoce du décodage facilite l’apprentissage initial de la lecture-écriture ».
Cela n’empêche pas Roland Goigoux d’être épinglé par deux chercheuses en sciences de l’éducation qui se réclament de la sociologie de Bourdieu. Dans Réapprendre à lire (Seuil), un livre qui a déjà relancé le sujet en cette rentrée, Sandrine Garcia et Anne-Claudine Oller l’assimilent, du fait de sa position d’expert reconnu par l’éducation nationale, à « la prescription », c’est-à-dire aux injonctions faites aux enseignants. Une prescription qui, selon elles, en dévalorisant les aspects techniques de l’apprentissage au profit de « conceptions intellectualistes », explique que « les professeurs des écoles préfèrent pour la plupart d’entre eux “l’épanouissement de la personnalité” des élèves à l’acquisition des connaissances ». On ne saurait mieux convier ces enseignants à s’impliquer eux aussi dans les débats qui s’annoncent.