A force de l’avoir sous les yeux, on finit parfois par ne plus la voir : la question sociale, grande oubliée des polémiques scolaires, est pourtant toujours là, et se déploie dans de nouvelles dimensions. Son maintien dans le débat public est une nécessité
Le Conseil national d’évaluation du système scolaire (Cnesco), instance consultative indépendante mise en place par la loi de refondation de juillet 2013, sera-t-il le marqueur « de gauche » qui, de toute évidence, manque à Jean-Michel Blanquer pour symboliser le fameux « en même temps » revendiqué par Emmanuel Macron ? En tout cas, le ministre a clairement conforté dans son rôle cette instance présidée par la sociologue Nathalie Mons.
Celle-ci avait été, en 2012, la cheville ouvrière du comité de pilotage de la concertation précédant la loi de refondation « Peillon ».
« Il est important pour la France d’avoir une instance d’évaluation du système. Le Cnesco devait faire ses preuves et commence à montrer une certaine robustesse » , a déclaré Jean-Michel Blanquer, lors de la clôture de l’université d’été du Cnesco, mardi 29 août, au Conseil économique, social et environnemental (CESE) qui en était le coorganisateur. Le sujet sur lequel ont échangé les quelque 400 inscrits -enseignants, cadres, chefs d’établissement, chercheurs...- était des plus larges : « Quelles politiques scolaires pour former notre jeunesse ? » Mais les thèmes dominants, dans les conférences ou les « ateliers », étaient ceux de la répartition des moyens au sein de l’éducation nationale, de la mixité sociale -une cause fortement défendue par le Cnesco, qui la voit comme une urgence-, et plus généralement de la lutte contre les inégalités sociales et spatiales.
Spatiales ? Le mot renvoie à des phénomènes très concrets, à la fois planétaires et locaux. Le géographe Michel Lussault -par ailleurs directeur de l’Institut français d’éducation (IFÉ) et président (sur le départ) du Conseil supérieur des programmes- les a décrits à travers un exposé brillant, appuyé sur la présentation d’une anamorphose du territoire français en fonction de sa répartition démographique. Il en ressort notamment que les deux cadres traditionnels les plus importants de l’administration publique en France, la commune et le département, sont « explosés » par l’urbanisation. Remplacés par ces « aires urbaines » que scrute l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), ils sont de moins en moins pertinents en termes d’efficacité des décisions, ce qui favorise toute une série de découplages entre les territoires et les besoins sociaux de leurs habitants, redoublant l’injustice sociale par l’injustice spatiale.
Exemple : le marché immobilier parisien n’est plus du tout en relation avec les besoins locaux, mais, comme toute les mégapoles, avec le marché mondial. Un couple de classe moyenne (d’enseignants, par exemple), aura de plus en plus de mal à s’y loger. De même, certains éléments du système scolaire se désolidarisent des besoins, par exemple quand l’adresse -celle du domicile ou celle du collège- devient un stigmate.
Ces constats ouvrent des interrogations sans fond : la priorité est-elle d’apporter des compensations à un territoire ou bien d’attacher des droits à des individus mobiles en leur assurant, où qu’ils se trouvent, l’accès aux biens sociaux ? En tout cas, comme l’a montré, au Cnesco, un autre géographe, Patrice Caro, les « risques sociaux » sont bel et bien accumulés sur certains espaces, se traduisant par de plus fortes probabilités d’échec scolaire. La question sociale et territoriale est facilement évacuée dans les polémiques sur l’école. Il est bon qu’une instance officielle, bien que non décisionnaire, garde le pouvoir de la remettre au premier plan. L.C.
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