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Défiance, complotisme, radicalisation : l’immensité du défi

Enquête après enquête, il se confirme que la perception conspirationniste du monde et la défiance revendiquée envers les vérités dites « officielles » ne relèvent pas de la boutade adolescente mais d’un phénomène massif, international et touchant toutes les générations


Un sondage de plus, cette fois à l’échelle européenne, vient confirmer les constats alarmants issus de différentes enquêtes précédentes sur l’emprise massive des théories du complot au sein des populations, non seulement parmi les jeunes mais aussi parmi les adultes.
Ce sondage a été commandité par un réseau européen dénommé Practicies (Partnership Against Violent Radicalisation in Cities - Partenariat contre la radicalisation violente dans les villes), constitué à partir d’un appel d’offres européen consécutif aux attentats de janvier 2015 et coordonné par l’université de Toulouse II-Le Mirail.
Réalisé en ligne en février-mars auprès de plus de 12 000 répondants de 12 pays (Autriche, Belgique, République tchèque, Danemark, France, Allemagne, Grèce, Irlande, Italie, Pologne, Portugal et Espagne) par le cabinet de consultants Kantar Public, le sondage a été rendu public le 19 juin en France, à l’occasion d’une réunion de presse à l’Assemblée nationale à l’initiative de Sandrine Mörch, députée (LRM) de Haute-Garonne et corédactrice avec Michèle Victory, députée (PS) de l’Ardèche, du rapport de la « mission flash », présenté le 16 mai, sur la prévention de la radicalisation à l’école.
Afin de comparer les réponses des jeunes et des adultes, ont été interrogés un échantillon représentatif de la population de 14 à 24 ans et un autre de la population âgée de 25 à 50 ans (500 personnes pour chacune des tranches d’âge dans chaque pays). Les questions, loin d’être exclusivement sur le complotisme, portaient principalement sur la perception des phénomènes de radicalisation violente. Il apparaît ainsi, notamment, que 47% des jeunes interrogés estiment que la radicalisation violente est « plutôt » ou « très » répandue dans leur pays (57% en France) et que 83% d’entre eux (mais 88% en France) pensent que ce phénomène est appelé à rester au même niveau ou à s’amplifier dans les prochaines années. Le sondage révèle aussi une poussée conservatrice sur certains sujets : par exemple, une majorité de jeunes en Pologne, au Portugal, en Italie et en Grèce pensent que le droit à l’avortement devrait être limité à certains cas spécifiques (38% en France).
Sur les théories du complot et la défiance envers les médias traditionnels, les chiffres sont accablants et, surprise, transcendent les générations. Ainsi, 31% des jeunes et 30% des 25-50 ans souscrivent à l’affirmation selon laquelle « il existe des organisations secrètes qui mettent en œuvre un Nouvel Ordre Mondial ». Pour 31% des jeunes et 28% des adultes interrogés, les attentats du 11 septembre 2001 « se sont déroulés différemment de la manière décrite dans les médias ».
Dans le même ordre de grandeur, 30% des jeunes mais 29% des adultes estiment que « les Illuminati existent ». L’affirmation que le virus du sida « a été créé en laboratoire » est jugée vraie par 19% des jeunes et 18% des adultes. Dans les deux tranches d’âge, 12% jugent que « le réchauffement climatique est une théorie inventée pour manipuler les gens », tandis que 12% des jeunes et 11% des adultes ne croient pas que des Américains ont marché sur la Lune en 1969.
Un dernier point, plus directement politique, n’a rien pour rassurer : 50% des jeunes et 48% des 25-50 ans pensent que leur pays « devrait être gouverné par un dirigeant fort qui n’aurait pas à se soucier du Parlement ou des élections ». Qu’il s’agisse des médias traditionnels, dont ces chiffres disent la déperdition de leur crédit, ou des systèmes scolaires, qui ne font pas mieux, le défi à relever est immense. L.C.