| Oublié ?

La Lettre

Le point avec...

Agnès van Zanten : « Ce qui motive les parents n’est pas la moyenne d’un lycée, mais ce qui convient à leur enfant »

Agnès van Zanten est sociologue de l’éducation, directrice de recherches au CNRS, membre de l’Observatoire sociologique du changement

Les indicateurs de valeur ajoutée des lycées viennent d’être publiés. Connaît-on leur impact sur les familles ?
Le seul travail qui, à ma connaissance, s’est intéressé en France à ces indicateurs dans une perspective sociologique est celui de Georges Felouzis qui, il y a quelques années, a observé la façon dont ils étaient construits. Avec des retombées positives d’ailleurs : c’est en partie à la suite de ce travail qu’ont été introduits dans les indicateurs les résultats au brevet, alors que seule l’origine sociale était utilisée jusque-là pour déduire le niveau scolaire des élèves à leur entrée au lycée. En revanche, il n’existe pas d’étude majeure en France sur les usages de ces palmarès par les parents. Néanmoins, des travaux menés en Grande-Bretagne, aux Pays-Bas et aux Etats-Unis montrent que leur impact est plus important parmi les parents des milieux favorisés. Une grande partie des familles populaires ne s’emparent pas des informations sur les établissements produites et diffusées grâce à cet outil.

Pourtant, ces évaluations sont disponibles en France depuis plus de vingt ans...
Certes, mais si elles sont publiées dans un souci de transparence, ces évaluations n’ont pas été conçues initialement pour les familles. Ce sont davantage des instruments de pilotage pour l’administration qui peut s’en servir pour adapter l’accompagnement des lycées, et pour les chefs d’établissement qui peuvent, même si ce n’est pas souvent le cas, y prendre appui pour s’autoréguler. Du côté du public, il faut compter aussi avec une certaine méfiance. Aux informations « froides » des statistiques, les familles préfèrent un discours « chaud », c’est-à-dire fondé sur l’expérience, sur les témoignages d’autres parents, ou d’anciens élèves d’un établissement. Elles veulent en savoir plus sur le climat scolaire, les éventuelles classes de niveau, les offres pédagogiques particulières, la stabilité des équipes, la place laissée aux parents, etc. Elles essayent de comprendre non pas le fonctionnement global d’un établissement mais ce qui dans ce dernier peut influer positivement ou négativement sur la scolarité de leur enfant.

Mais ce discours « chaud » n’est-il pas influencé aussi par ces indicateurs ?
Bien sûr, ce ne sont pas deux canaux étanches. Ces indicateurs peuvent effectivement infléchir le sens de la réputation et des rumeurs, plus dans un sens négatif que positif cependant. Par ailleurs, si d’un côté ils apportent des données plus objectives, de l’autre ils renforcent la conviction que, décidément, tous les établissements ne se valent pas, puisque l’Etat lui-même s’implique dans la mise en valeur des différences. De plus, ces données laissent en suspens beaucoup de questions qui intéressent les familles. Elles ne permettent pas, sauf si les écarts sont très nets, les comparaisons très fines que ces dernières voudraient faire entre des établissements géographiquement proches. En outre, quand les écarts sont faibles, cela n’implique pas un fonctionnement identique : on peut obtenir des résultats voisins avec des choix pédagogiques très différents. Ce qui motive les parents n’est pas la moyenne d’un établissement : ils se soucient d’abord de savoir s’il convient bien à leur enfant, et c’est justement ce qui ne peut pas se déduire de ces évaluations qui nourrissent surtout leur angoisse. Et ce, y compris celle des parents les plus avertis qui savent que, de plus en plus, et en l’affichant désormais ouvertement, les filières sélectives de l’enseignement supérieur prennent aujourd’hui en compte le lycée d’origine des candidats pour recalculer leurs notes.

Les indicateurs de valeur ajoutée des lycées pourraient-ils être étendus aux collèges ? 
Difficilement, car il y a deux obstacles. D’une part, on ne dispose d’aucun examen sur lequel se fonder pour mesurer le profil scolaire des élèves à l’entrée en 6e, sachant que la prise en compte de leur seul profil social conduit à un calcul du « taux attendu » qui pénalise souvent les établissements socialement défavorisés. D’autre part, les résultats des collégiens au brevet, encore moins que ceux des lycéens au baccalauréat, ne peuvent être considérés comme des indicateurs suffisants pour mesurer l’efficacité d’un établissement.