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Alain Bouvier : « Sans instance d’évaluation indépendante, on restera dans la communication politique »

Alain Bouvier est ancien recteur, président de l’Association française des administrateurs de l’éducation nationale.

Vous avez été membre du Haut Conseil de l’éducation (HCE), dont le mandat s’est terminé le 6 novembre. A l’issue des six ans, quel bilan tirez-vous de ses travaux ?
Il y aurait beaucoup à en dire ! Mais la principale conclusion des neuf membres du HCE, c’est que la création d’une agence d’évaluation est une nécessité pour garantir des données objectives et transparentes concernant les résultats du système éducatif. Le problème tient au fait qu’un ministre a une « durée de vie » limitée -dix-huit mois, deux ans maximum- et agit par conséquent dans le court terme. Face à la masse d’informations qui lui remontent, il a tendance à sélectionner les trois données favorables à la présentation de sa politique et étouffer les 25 défavorables. Sans instance indépendante, on restera dans la communication politique et l’affichage.

La réforme de l’évaluation des enseignants, prévoyant de confier cette mission aux chefs d’établissement, va-t-elle dans le bon sens ?
En matière de management public, les réformes engagées depuis une trentaine d’années ont conduit à responsabiliser les acteurs. Tout agent qui œuvre au nom de la Nation doit s’auto-évaluer et rendre des comptes. Les chefs d’établissement, qui côtoient les enseignants quotidiennement, sont les mieux placés pour les évaluer. Mais les enseignants du second degré se sont toujours considérés comme des travailleurs libéraux, et font comme si cette autonomie pédagogique leur interdisait de rendre compte de leur action. Or, les deux ne sont pas incompatibles, bien au contraire !

Que vont devenir les inspecteurs pédagogiques régionaux (IA-IPR) ?
Leur rôle sera plus systémique. Les recteurs les solliciteront pour évaluer les établissements et le travail collectif. Ils leur demanderont aussi d’intervenir à des moments-clés de la carrière d’un enseignant, à deux ans et à vingt ans d’ancienneté par exemple.

Quelle lecture faites-vous du projet de réforme de la gouvernance académique ?
Il s’agit d’appliquer à l’éducation nationale le modèle de la préfectorale. Le préfet de département a été placé sous l’autorité du préfet de région. Ce dernier est entouré d’un comité d’action comprenant les préfets départementaux, son secrétaire général et huit responsables de pôle. Dans le projet de nouvelle gouvernance académique, le recteur se dote d’une équipe de direction, composée du secrétaire général et des inspecteurs d’académie-directeurs des services départementaux [IA-DSDEN], et d’une équipe de proximité, dont le doyen des IA-IPR et des conseillers techniques. Le système fonctionnait déjà de la sorte, la réforme renforce et clarifie cette organisation. La grande nouveauté, c’est le pouvoir conféré au recteur de fixer lui-même l’organisation territoriale de son académie. Si on prend le texte initial de la réforme à la lettre, on peut très bien imaginer que, dans quelques années, les responsabilités d’un IA-DSDEN ne seront plus départementales, mais liées à un niveau ou à un secteur. Certaines académies ont déjà commencé à travailler sur de telles hypothèses.

Quelle devrait être la prochaine étape de la décentralisation ?
Les dernières réformes ont accouché d’une souris. On reste sur des compétences partagées et multiples ; les questions qui avaient été soulevées en 2003 lors de l’acte II de la décentralisation n’ont toujours pas été pas tranchées. En attendant une véritable réforme, la part de la dépense de l’Etat dans l’éducation ne cesse de diminuer, tandis que celle des collectivités territoriales augmente. Je trouve aberrant qu’un établissement du second degré soit sous la double tutelle de l’Etat et des collectivités, qu’il reçoive des injonctions des deux côtés et soit obligé de faire le grand écart. Et cela parce qu’on n’arrive pas à concevoir des contrats tripartites ! De même, il n’y a aucun lieu de négociation entre le rectorat et les collectivités. Certains suggéraient, en 2003, de transformer les rectorats en établissements publics régionaux. Pourquoi pas ? L’autre hypothèse est de faire du recteur un directeur régional de l’enseignement scolaire, sous l’autorité du préfet de région. Mais une telle réforme supposerait de revoir la Constitution et serait donc plus délicate à mettre en œuvre.