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Charles Torossian, sur la désaffection des filières scientifiques : « On paye un enseignement parcellisé »

Charles Torossian est inspecteur général de l’éducation nationale en mathématiques, et ancien chercheur au CNRS.

L’un des enjeux du « plan sciences », présenté par le ministre de l’éducation nationale le 31 janvier, est de « susciter des vocations pour les filières scientifiques et techniques ». La désaffection de ces filières est-elle un mythe ou une réalité ?
Tout dépend de la manière dont on interprète les chiffres, car ils disent tout et son contraire. On ne peut pas dire, par exemple, qu’il y ait une désaffection de la série scientifique au lycée (elle comptait 161 000 élèves de terminale en 2009, contre 156 000 en 2002). La spécialité « sciences de la vie et de la Terre » attire 33,5% des élèves de la section S, tandis que les effectifs de la spécialité « mathématiques » sont plutôt stables, à 22% de la section. Si on s’intéresse maintenant aux choix d’orientation des lycéens issus la série S, on constate une légère hausse des effectifs en classes préparatoires aux grandes écoles scientifiques (50000 élèves à la rentrée 2009, contre 45000 en 2002). A l’inverse, la licence sciences fondamentales a subi une chute sévère de ses effectifs (15300 nouveaux entrants en 2005, contre moins de 12000 en 2009). Deux tiers des étudiants en sciences fondamentales sont en classe prépa, un tiers à l’université. Cette disproportion n’existe pas dans les filières économiques, littéraires et biologiques (seuls 25% environ des étudiants de sciences économiques sont en classe prépa). Les écoles d’ingénieurs subissent le même sort : 10% de leurs places ne sont pas pourvues, alors même qu’elles ont diversifié leur recrutement ces dernières années ! Le problème commence aussi à toucher les entreprises. Un cadre d’EADS me confiait récemment que, dans dix ans, il ne parviendrait plus à recruter d’ingénieurs de bon niveau, et une entreprise comme Areva peine à recruter des ingénieurs nucléaires.

Le phénomène ne résulte-t-il pas d’une préférence des jeunes pour les études professionnalisantes ?
Les élèves ont une vision lointaine des sciences fondamentales. L’identification professionnelle des filières universitaires, hormis la première année des études médicales qui compte près de 35000 étudiants, soit autant que les étudiants en sciences fondamentales (classes prépa comprises !), est moins bonne que celle des filières courtes, type IUT [instituts universitaires de technologie] ou STS [section de technicien supérieur], voire les écoles d’ingénieurs recrutant à bac+0. Ces filières demeurent d’ailleurs tout à fait attractives. Une part significative de leurs étudiants poursuivent leurs études à l’université, et viennent ainsi gonfler les rangs de la troisième année de licence et du master.

L’école est-elle responsable ?
L’institution scolaire sait, et a toujours su, former de très bons ingénieurs. Elle n’a certainement pas réussi historiquement à former aussi bien les commerciaux et les chercheurs. Mais on paye aujourd’hui un enseignement scientifique traditionnellement parcellisé. Avec trois disciplines différentes - mathématiques, biologie et physique-chimie -, et une discipline technologique, les élèves ne voient pas la dimension transversale des sciences. D’où les expérimentations visant à globaliser les enseignements, telles que les modules d’exploration en 2de, l’accompagnement personnalisé, ou, dans le « plan sciences », la généralisation de l’enseignement intégré des sciences et technologies. C’est en globalisant l’enseignement des sciences sur des fondamentaux solides que l’école parviendra à susciter du rêve et des passions autour des sciences. Dans les années 1950-1970, les grands projets, nucléaires, ferroviaires, aérospatiaux, ont drainé des vagues d’ingénieurs de très haut niveau. Aujourd’hui, les défis technologiques et industriels qui s’ouvrent à nous sont immenses, mais ils n’émerveillent pas la jeunesse. Face à ces défis, il faut aussi miser sur la voie technologique du lycée, qui renferme un potentiel sous-exploité, et encourager ses élèves à poursuivre leurs études à un niveau bac+5.

Le marché du travail y est-il aussi pour quelque chose ?
Les ingénieurs ont-ils encore une place au sein de l’entreprise ? Est-il possible, aujourd’hui, de faire carrière en tant qu’ingénieur non « manager » dans l’industrie ? Je n’en suis pas sûr. Si les jeunes sont prêts à faire des études longues, il doivent bénéficier d’un retour sur investissement.