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Daniel Filâtre, sur l’ESPE de Grenoble : « Il nous manquait deux mois pour parvenir à un projet abouti »

Daniel Filâtre est recteur de l’académie de Grenoble depuis le 24 juillet, ancien conseiller de la ministre Geneviève Fioraso.

L’Ecole supérieure du professorat et de l’éducation (ESPE) de Grenoble n’est habilitée que provisoirement, pour un an, à délivrer le nouveau master « MEEF » (métiers de l’enseignement, de l’éducation et de la formation) - au même titre que quatre des trente autres ESPE (voir La Lettre n°782) qui ouvrent leurs portes ce mois-ci. Pour quelles raisons ?
Il nous manquait deux mois de travail pour parvenir à un projet abouti. Toutes les ESPE vont devoir s’améliorer au cours de l’année universitaire en cours, mais cinq académies se retrouvent au milieu du gué ; elles n’ont pas encore véritablement atteint les objectifs du cahier des charges. Ce n’est pas un échec, mais plutôt une exigence du gouvernement qui nous demande de faire avancer le dossier. D’ici un an, nous devrons lui fournir des éléments supplémentaires pour obtenir une habilitation définitive.

A quelles difficultés la construction de l’ESPE s’est-elle heurtée ?

Il était bien plus facile de se conformer au cahier des charges dans les académies qui ne comptent qu’une seule université, comme Reims ou Caen. Dans les grandes métropoles universitaires - Paris, Toulouse, Grenoble... -, il a fallu que les universités se mettent autour de la table pour construire une ESPE commune. La coopération est parfois compliquée. Il y a trois défis de partenariats à relever : entre les universités d’une académie, d’une part [dans le cas de Grenoble, les universités Grenoble-I, II, III et l’université de Savoie]. Entre l’ex-IUFM et les UFR [unités de formation et de recherche], c’est-à-dire entre ceux dont les tâches traditionnelles sont pédagogiques et ceux qui sont centrés sur les savoirs disciplinaires, d’autre part ; et enfin entre le monde universitaire et le monde scolaire. En juin, le conseil d’administration de Grenoble-I, l’université intégratrice de l’ESPE, a émis un avis défavorable sur le projet d’ESPE pour signifier que celui-ci n’était pas abouti. Il a notamment fait siennes les craintes des personnels de l’IUFM sur leur place dans la nouvelle ESPE. Maintenant que l’école a ouvert ses portes, les craintes vont se dissiper. Je suis optimiste !

Comment se concrétise, à Grenoble, le principe d’une entrée progressive dans le métier ?
Il y a encore des efforts à faire en la matière. Le gouvernement a souhaité abandonner le modèle « séquentiel » de la formation des enseignants - acquérir d’abord un niveau de compétences disciplinaires puis apprendre à les transmettre -, pour bâtir un modèle « intégré » : les futurs enseignants apprendront leur discipline en même temps qu’ils apprendront à la transmettre - un peu comme les médecins qui suivent leur formation en internat. C’est une révolution presque cognitive ! A Grenoble, le disciplinaire est encore séparé du pédagogique ; la dynamique d’intégration n’a pas été suffisamment mise en œuvre.

Pourquoi est-il difficile de passer d’un modèle à l’autre ?
Le poids des traditions, sans doute. Du côté des universitaires, l’idée qui prévaut est qu’un enseignant est d’abord un professionnel qui détient un haut niveau de savoirs fondamentaux. Plus on a de connaissances en mathématiques, en littérature... plus on est un bon enseignant. La nécessité d’apprendre à transmettre fait encore un peu peur.

Comment allez-vous faire avancer l’ESPE ?
La part des professionnels dans la formation est insuffisante - autour de 12%. Je souhaite que les heures enseignées dans les ESPE relèvent des professionnels à hauteur du quart - l’idéal étant 30%, comme dans les autres masters professionnels. Le tronc commun d’enseignement à toutes les disciplines et les métiers devra être repensé pour être au cœur de la formation. Par exemple, un sujet comme le traitement de la difficulté scolaire sera traité par tous les étudiants du master MEEF, qu’ils se préparent à enseigner dans le 1er ou dans le 2d degré. Une autre faiblesse du projet grenoblois est d’avoir dissocié la formation continue de la formation initiale. Je souhaite que soient mélangés, dans la même classe, des étudiants qui n’ont pas débuté dans le métier et des enseignants chevronnés qui viennent en formation pour parfaire leurs pratiques. Enfin, si le numérique est évoqué dans le projet initial de l’ESPE, rien n’est concrétisé. Je souhaite que ce projet permette aux enseignants de se former aux usages numériques.