Vouloir abroger certaines réformes, ou même les « adapter », c’est encore une façon de poursuivre leur empilement, et s’exposer à ce que les opposants d’hier ne soient pas aussi comblés qu’on l’imagine. Bref, l’antiréforme peut s’avérer aussi problématique que la réforme
A chaque ministre sa réforme, dit-on... même si l’on constate aussi que les enseignants sont lassés de cet empilement. On sait ce qu’il est advenu de la relative modération affichée il y a plus d’un an par Alain Juppé qui, à rebours du sentiment dominant dans sa famille politique, assurait qu’il n’abrogerait pas la réforme du collège, mais qu’il irait plus loin en matière d’autonomie. Ces derniers mois, puis ces dernières semaines, sans entrer dans le détail des programmes, les « abrogationnistes », sur ce sujet, ont tenu la corde, de même que sur la réforme des rythmes scolaires.
Dans les deux cas, pourtant, l’éventuel retour en arrière ou même de « simples » adaptations poseraient une foule de problèmes. Les rythmes ont impacté non seulement les écoles et les communes, mais l’organisation quotidienne des familles. Remettre tout en jeu serait délicat. Quant au collège, même si la réforme a suscité des oppositions tenaces, elle a donné lieu dans les établissements à des débats, des tractations et, au final, des équilibres dont la remise en cause pourrait s’avérer conflictuelle. Même des aménagements, comme un éventuel rétablissement des enseignements bilangues ou des modalités antérieures sur le latin-grec, représenteraient des défis en matière d’organisation et de postes disponibles, sans oublier les effets de démotivation.
Autrement dit, le volontarisme, de quelque bord qu’il soit, sera confronté à la résistance et à la force d’inertie, sans affecter à ces termes un jugement moral, du système éducatif. Son observation sur un temps long montre de très fortes continuités derrière les ruptures apparentes. Voulant imprimer leur marque, les politiques remplacent souvent des instances créées par leurs prédécesseurs par d’autres instances.
Ainsi, il faudrait beaucoup de chance et d’habileté au Conseil supérieur des programmes (CSP) ou au Conseil national d’évaluation du système scolaire (Cnesco), tous deux créés par la loi de « refondation » de 2013 et dont les mandats courent encore sur plusieurs années, pour être laissés en l’état par un nouveau gouvernement. Jusqu’à présent, chaque alternance se traduit par de nouvelles instances, différentes par leurs noms, leur composition, leurs attributions.
Toutefois, là encore, derrière la succession des sigles se cache la permanence de tendances lourdes. Ainsi, la nécessité d’une instance responsable des programmes scolaires, malgré une parenthèse durant le ministère Darcos, s’impose peu à peu comme une évidence depuis... le Conseil national des programmes (CNP), créé par la loi d’orientation « Jospin » de 1989, en activité de 1990 à 2005 et présidé de 1992 à 2002, par Luc Ferry juste avant que celui-ci devienne ministre ! Même schéma pour ce qui concerne l’évaluation de l’école : c’est sous le gouvernement de Lionel Jospin qu’est créé en 2000 le Haut Conseil de l’évaluation de l’école (HCEE). Pour mémoire, Jack Lang, alors ministre de l’éducation, était épaulé par son ministre délégué chargé de l’enseignement professionnel, Jean-Luc Mélenchon. Autre exemple facétieux : en novembre 2005, une nouvelle instance, le Haut Conseil de l’éducation (HCE), est installée par le ministre Gilles de Robien. Elle doit son existence à la loi d’orientation pour l’avenir de l’école, du 23 avril 2005. Un texte présenté par son prédécesseur rue de Grenelle, de 2004 à 2005, un certain... François Fillon.
Si personne ne peut exclure un big bang de l’éducation, que de déconvenues possibles pour qui voudrait le déclencher ! L.C.
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