Fanny Salane est chercheur attaché au Cerlis, université Paris Descartes/CNRS, docteur en sciences de l’éducation.
Vous êtes spécialiste des études supérieures en milieu carcéral, thème auquel vous avez consacré votre thèse. Y a-t-il beaucoup d’étudiants-prisonniers ?
Ils sont très peu en fait. S’il est admis, et obligatoire, de faire respecter l’obligation scolaire aux mineurs de moins de 16 ans, au-delà cela se complique, même si les textes de droit parlent de l’éducation comme d’un droit du détenu. L’administration pénitentiaire incite fortement les jeunes adultes jusqu’à 25 ans à suivre une formation. Au-delà, cela relève d’un parcours du combattant. En 2007, on estimait que le quart des détenus était scolarisé, soit 46 036 individus. A peine 805, soit 1,7 %, poursuivait des études supérieures. Cela pourrait changer : le projet de la future loi pénitentiaire mentionnerait l’obligation d’activités pour les détenus. L’éducation va en faire partie.
Quel genre d’études supérieures mène-t-on en prison ?
Les disciplines scientifiques sont sous-représentées, physique, sciences et vie de la terre, technologie... Il est impossible d’introduire en prison les éléments d’un laboratoire ou un matériel important. Ce sont donc les sciences humaines et sociales, la littérature, la philosophie, la psychologie, le droit surtout, qui sont les plus répandues. On constate aussi la forte influence de filières importantes à l’extérieur. Les BTS de commerce et gestion sont très populaires. Nombre d’étudiants sont attirés par ces filières courtes et professionnalisantes.
Quels sont les obstacles que rencontrent les détenus qui veulent mener des études ?
Il convient d’abord de parler du temps de détention. Mener des études est un projet de long terme. 71,3 % des détenus incarcérés le sont en maison d’arrêt, qu’ils soient en attente de jugement ou qu’ils n’aient qu’une peine inférieure à un an à effectuer. Pour ceux-là, la question ne se pose pas, d’autant que nombre d’entre eux, dans leur cursus pénitentiaire, sont amenés à changer d’établissement. Les détenus étudiants que j’ai rencontrés purgeaient une peine de quinze ans. Leur faible nombre s’explique aussi par le fait que la population carcérale est souvent en échec scolaire. De plus, les détenus sont issus en grande majorité de milieux sociaux défavorisés. Ils sont obligés de travailler dans les ateliers de la prison pour gagner un peu d’argent. Souvent, les horaires des ateliers sont les mêmes que ceux du centre scolaire de la prison ou de la bibliothèque. Ils ne peuvent donc pas s’y rendre. Les difficultés sont également inhérentes au milieu pénitentiaire. On constate une grande inégalité entre établissements suivant que les directeurs sont plus ou moins sensibles aux problématiques éducatives. L’accès aux livres, à la bibliothèque, peut devenir un enjeu de la bonne marche de la prison : il est restreint s’il y a des problèmes. L’objectif de la prison est double : assurer la sécurité et permettre la réinsertion, mais le second objectif est toujours subordonné au premier.
En quoi la sécurité de la prison peut-elle nuire à la pratique d’études supérieures ?
La question se pose par exemple pour les livres. Dans toutes les prisons, il existe une bibliothèque et, souvent, une bibliothèque scolaire. Elles sont insuffisantes pour des études supérieures. Il faut faire venir des ouvrages de l’extérieur. Pour des raisons de sécurité, les livres à couverture brochée sont interdits : on pourrait dissimuler des choses à l’intérieur. Ceux rédigés en langue étrangère également : ils pourraient dissimuler des messages codés. Cependant, la plus grande méfiance concerne l’informatique. S’il veut un ordinateur, un détenu doit recourir à un modèle spécifique de l’administration pénitentiaire, jamais à son ordinateur personnel. Surtout, Internet demeure interdit. C’est très pénalisant dans la mesure où il n’existe pas, dans l’enseignement supérieur, à la différence de la scolarité des mineurs, de professeurs qui se rendent dans les établissements. L’enseignement à distance est donc nécessaire mais il ne passe que par le papier. Ceci dit, les choses évoluent. La région pénitentiaire de Bordeaux a élaboré un Intranet, un plateau de travail collaboratif sur lequel les enseignants mettent leurs documents en ligne, avec un accès à Internet réduit à une liste de sites.
Précision (publiée dans La Lettre n°626).
Fanny Salane souhaite préciser que « quelques enseignants se déplacent également en prison : les enseignants de la section d’enseignement des étudiants empêchés (SEEE) de l’université Paris-VII ».
Politique éducative Mastérisation enseignante : le gouvernement fait des propositions
Enseignement privé Les universités catholiques, déjà prêtes sur la mastérisation
Politique éducative Egalité des chances : Yazid Sabeg fait des propositions cette semaine
Orientation « Admission postbac » : les professeurs principaux s’inquiètent
Enseignement supérieur Décret des enseignants-chercheurs : les principaux points
Vie étudiante Les étudiants ont le moral, selon un sondage de l’IFOP
Les chiffres Paris et Lyon attirent le plus d’étudiants « mobiles »