| Oublié ?

La Lettre

Le point avec...

François Baluteau : « Les enseignements optionnels participent à la ségrégation sociale » des établissements

François Baluteau est enseignant-chercheur. Il enseigne la sociologie en sciences de l’éducation à l’université Lyon-II.

Vous venez de publier, dans la revue Socio-logos, un article sur le « curriculum optionnel et la composition sociale » des collèges, à partir d’une enquête menée en 2010 et 2011. Comment avez-vous procédé ?
Il s’agit d’une enquête quantitative et qualitative visant à décrire et comprendre en quoi les collèges se différencient par leurs enseignements optionnels. A partir d’une comparaison de 500 collèges, publics et privés, socialement favorisés ou défavorisés, j’ai pu notamment observer que les enseignements optionnels varient fortement en fonction de la composition sociale des établissements.

Les établissements défavorisés sont-ils moins dotés en options ou en sections ?
Pas vraiment. Aujourd’hui, les dispositifs d’excellence sont présents partout. C’est le résultat d’une politique de « requalification » des établissements défavorisés menée depuis une dizaine d’années. Des moyens leur ont été accordés afin qu’ils développent une offre à destination des bons élèves - des sections linguistiques ou sportives par exemple. Le but étant d’attirer les bons élèves du primaire et de les maintenir dans le collège. Malgré tout, une logique d’« ajustement » des enseignements optionnels au public perdure. Face à la difficulté à gérer les élèves en difficulté, les établissements défavorisés ont tendance à privilégier des dispositifs de préorientation, type Segpa ou 3e de découverte professionnelle. Les établissements favorisés, eux, justifient l’absence de ces dispositifs par le type de familles qu’ils accueillent, en faveur des études générales. Ils recourent plutôt à l’exclusion des élèves en échec, ce qui leur permet de garantir une population favorisée et une image attractive. Or, sous l’effet d’une autonomie accrue - mais aussi de l’assouplissement de la carte scolaire -, les établissements se différencient, se spécialisent de plus en plus. Les enseignements optionnels participent à la hiérarchisation des établissements et donc à la ségrégation sociale.

Quelles options observe-t-on plus dans l’une ou l’autre catégorie de collèges ?
Les établissements favorisés sont plutôt fermés sur l’enseignement professionnel et la prise en charge des publics en difficulté. Ils proposent, plus que les autres, des dispositifs artistiques et culturels. Dans mon enquête, 40% des collèges favorisés ayant des enseignements à thème en proposent, contre 6% des collèges défavorisés. A l’inverse, les collèges défavorisés dotés de ces dispositifs thématiques ont davantage recours aux sections sportives (91%, contre 55% des collèges favorisés). L’excellence n’est donc pas de même nature selon le type de collèges. Cela peut s’expliquer par certaines représentations sociales : on prête souvent au sport des vertus éducatives, tandis que les sections artistiques donnent aux familles culturellement favorisées les « biens » scolaires qu’elles recherchent. On retrouve ces différences en langue. Il y a plus d’arabe et de portugais dans les collèges défavorisés, et plus de chinois dans les établissements qui accueillent une population favorisée, pour qui cette langue est perçue comme économiquement porteuse. Les collèges favorisés proposent souvent deux langues anciennes ; les collèges défavorisés une seule.

Comment les chefs d’établissement justifient-ils leurs choix d’options ?
Leurs stratégies varient. Ils ont tendance soit à adapter l’offre pédagogique à leur public, soit à accroître leur attractivité, en particulier auprès des bons élèves. Une nouvelle option, type section internationale, est souvent affichée comme une réponse à la concurrence publique ou privée de certains collèges qui drainent les élèves du secteur.

Comment atténuer les effets de ségrégation ?
La politique d’excellence dans les secteurs défavorisés a ses limites. L’ouverture d’une section bilangue dans un collège qui est passé de 1 000 à 300 élèves ne changera pas foncièrement la donne. L’offre pédagogique devrait être pensée à l’échelle d’un territoire. Au lieu d’être en concurrence, les établissements devraient pouvoir mutualiser leurs enseignements. Les établissements favorisés devraient être encouragés à accueillir des publics défavorisés. On ne peut pas accepter d’avoir, d’un côté, des établissements spécialisés dans l’excellence auprès d’un public favorisé et, de l’autre, des établissements ghettos.