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François Taddéi : « Pour développer la créativité des jeunes, il faut leur donner des degrés de liberté »

François Taddéi est directeur de recherche à l’Inserm.

Dans le rapport que vous venez de remettre à l’OCDE, vous développez l’idée selon laquelle l’enseignement au XXIe siècle doit reposer sur la créativité. Ce point de vue est-il en rapport avec votre propre expérience académique ? Formé dans une école d’ingénieur, vous avez bifurqué vers la recherche en biologie.
Mon parcours m’a certainement influencé. J’ai toujours fait ce qui me motivait le plus : du hand, des échecs, puis je suis allé à Polytechnique. Par chance, on y enseignait toutes les disciplines : des maths et de la physique, bien sûr, mais aussi de l’histoire du cinéma, des sports, de la psychologie, etc. C’est comme ça que j’ai découvert la biologie, et que je suis devenu chercheur. J’ai aussi beaucoup appris des bactéries sur lesquelles je travaille. Ce sont des organismes qui peuvent s’adapter à un nouvel environnement, voire coopérer pour collectivement l’adapter à leurs besoins. Toutes les études montrent que le facteur limitant de la créativité, c’est la motivation. Je le vérifie tous les jours avec mes étudiants. Depuis plusieurs années, j’interagis avec des lycéens motivés, j’ai créé des formations, au niveau du doctorat, du master et bientôt d’une licence, qui permettent aux jeunes d’être acteurs de leur parcours, de développer leurs projets et de mieux choisir ce qui leur convient.

Comment définiriez-vous le concept de créativité ?
On a une vision trop élitiste de la créativité. On la voit comme une muse qui viendrait visiter certains pendant la nuit. Mais c’est une collectivité qui crée en partageant de nouvelles idées. Ainsi, tous les étudiants doivent croire en eux-mêmes et être à la recherche de degrés de liberté pour penser. On peut développer son imagination partout, des maths aux arts. Les recherches ont montré que, lorsqu’on est constructeur de savoirs interactifs, on apprend et on retient mieux. Apprendre à apprendre développe aussi l’esprit critique et la capacité de synthèse. Il faut donner la perspective de la recherche, c’est-à-dire qu’on doit apprendre à résoudre des problèmes interdisciplinaires qui n’ont pas encore de solution en piochant dans toutes les disciplines. L’enseignement socratique reposait sur le questionnement. Aujourd’hui, l’école enseigne des choses de manière formatée et sans questionnement, en silos. On a voulu standardiser ce que l’enfant doit apprendre et ce que l’enseignant doit enseigner.

Que faire pour corriger cela ?
Les enseignants doivent avant tout donner des degrés de liberté aux jeunes, développer l’apprentissage en groupe, en réseau et chercher à faire progresser la créativité des élèves. Le modèle, c’est Wikipedia : une encyclopédie dont on est l’acteur. Tout le monde sait quelque chose, mais personne ne sait tout ; c’est pour cela qu’il faut échanger, débattre et créer ensemble.

Les parents ont-ils un rôle à jouer dans cette approche plus collaborative de l’apprentissage ?
Les parents doivent avant tout demander que la critique scolaire, de négative, devienne positive ; que ce soit une critique qui construit des savoirs au lieu de tuer dans l’œuf les initiatives. En Finlande, on n’interroge pas un jeune sur du parcœur, mais sur sa capacité à exprimer une opinion personnelle, à réfléchir. C’est pour cela qu’il apprend et retient beaucoup mieux. Les Finlandais ont fait confiance aux élèves et aux enseignants et, en une vingtaine d’années, ils sont passés du milieu du classement de l’étude PISA à la première place mondiale.

La France est-elle capable de revoir son école afin d’entraîner davantage d’élèves dans une « dynamique de création » ?
Oui, si elle réfléchit à de vraies réformes. Ce qui formera le mieux les nouvelles générations aux défis d’une société où les changements s’accélèrent ne peut pas être constitué d’enseignements conçus pour les élites du XIXe siècle. Mais, pour l’heure, on a encore du mal à se dire qu’il faudrait changer un système éducatif qui nous a formés. Pourtant, à l’étranger, les réformes progressent pour former au mieux des citoyens créatifs qui sauront mettre à jour leurs connaissances et construire l’avenir.