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Jean-Louis Auduc : « Le modèle actuel de formation sacrifie l’école maternelle et met en danger le collège »

Jean-Louis Auduc, docteur en histoire et formateur d’enseignants, est ancien directeur des études à l’IUFM de Créteil

La formation initiale des enseignants, rétablie par la gauche, ne fait toujours pas l’unanimité. Où est l’erreur ?
Avant de parler des défauts, il faut souligner un point positif : plus personne ne remet en cause la nécessité de former les futurs enseignants. Ce n’était pas acquis, il y a quelques années. Avec le nouveau dispositif, nous avons deux gros problèmes. Le premier porte sur le second degré, où nous sommes toujours dans une logique de formation successive : le savoir d’abord et la transmission après, alors qu’il est essentiel de lier les deux. Le modèle retenu maintient une dichotomie entre la première année de formation, universitaire, et la deuxième, confiée à des formateurs sur les enjeux pédagogiques. L’autre problème est que la formation dispensée ne prépare pas à la diversité des publics scolaires. Le concours de professeur des écoles concerne des enseignants qui vont avoir des élèves de 2 à 11 ans. Dans le second degré, un enseignant est susceptible d’enseigner de 11 à 19 ans. Cela ne permet pas de travailler sérieusement sur l’élève, dont le profil et la psychologie sont tout à fait différents selon qu’il s’agit de bambins, de jeunes enfants, de préadolescents, d’adolescents ou de jeunes adultes. La formation pratique devrait être liée au maximum à une tranche d’âge de quatre ans. Aujourd’hui, c’est un coup de chance si, une fois nommé, le débutant se retrouve dans le niveau où il a fait son stage de deuxième année. Qui était en CE1 peut être nommé en petite section de maternelle et qui a fait son stage dans un lycée peut se voir confier une 6e. L’un ou l’autre sont en droit de dire qu’on ne les a pas préparés à ce métier. De cette façon, nous sacrifions l’école maternelle parce que le concours de professeur des écoles est beaucoup plus axé sur l’élémentaire, et nous mettons en difficulté le collège parce que les Capes sont beaucoup plus tournés vers l’enseignement en lycée. Le champ couvert par nos concours est trop vaste.

Quelle alternative verriez-vous ?
Je plaide pour des concours de recrutement sur les savoirs, suivis de deux ans minimum de formation conjointe, liant savoirs et pratiques, avant la nomination définitive. Le tout avec une spécialisation par tranches d’âge et la possibilité de changer cette spécialité au cours de la carrière par la formation continue. En Finlande, en Belgique, aux Pays-Bas, c’est ce qui permet un travail à la fois sur les savoirs, les compétences, la psychologie des élèves et leur diversité.

Combien de temps faut-il pour former un enseignant ?
Autour de deux ans, à la condition qu’existe la spécialisation que je viens d’évoquer et que soient articulés savoirs et transmission. Aujourd’hui, la première année, pour tous les concours, est une année de bachotage, et la seconde est surchargée, car l’équilibre n’a pas été trouvé entre le master et l’exercice pratique. Ce sont les douze travaux d’Hercule pour les étudiants qui ont un stage pratique à mi-temps, avec la nécessité de préparer leurs cours, de corriger des copies, tout en devant terminer leur master qui, au niveau des Capes, est un master universitaire très éloigné des cours qu’ils vont avoir à effectuer. Ils se retrouvent avec des semaines de 55 à 60  heures, sans aucune assurance que tout leur travail pourra être investi dans leur première nomination. Du coup, le seul élément qui leur apparaît solide est leur discipline, d’où le fait qu’aujourd’hui l’identité professionnelle reste structurée par la discipline.

Les mises en garde n’ont pas manqué au moment de l’élaboration du projet. Pourquoi n’ont-elles pas été écoutées ?
Parce qu’il y a eu, en 2012 et 2013, un bras de fer sur la formation des enseignants entre l’éducation nationale et l’enseignement supérieur. Le projet initial prenait mieux en compte les nécessités professionnelles de la transmission, mais il a été violemment mis en cause par les universitaires qui, en substance, ont dit : les profs des écoles, vous pouvez vous les garder, mais les Capes doivent conserver une première année exclusivement vouée aux savoirs académiques, sinon vous allez déshabiller les départements disciplinaires. L’arbitrage interministériel leur a été favorable.