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Josie Bernicot : « Le fait de pratiquer les SMS ne change pas le niveau en orthographe »

Josie Bernicot est professeure de psychologie à l’université de Poitiers-CNRS (laboratoire Cerca), spécialiste de l’acquisition du langage.

Vous venez de publier, dans une revue anglophone, les résultats de votre recherche sur la pratique des SMS chez les adolescents. Que vouliez-vous vérifier ?
Nous voulions savoir si l’usage des SMS avait une influence négative sur l’orthographe traditionnelle. En effet, la pratique d’une langue écrite différente de celle utilisée dans le cadre de l’apprentissage des connaissances est parfois désignée, par les professeurs ou par les parents, comme la cause de difficultés scolaires. Ces derniers perçoivent souvent les SMS comme une forme incorrecte de l’écrit traditionnel et craignent que les élèves ne soient tentés de l’utiliser en toutes circonstances. Les résultats de notre recherche montrent qu’il n’y a pas de corrélation entre la maîtrise de l’orthographe traditionnelle et la pratique des SMS.

Comment avez-vous procédé ?
Nous avons observé des collégiens de 6e et 5e pendant un an. N’ayant pas de téléphone mobile avant le début de l’étude, ces derniers n’avaient aucune pratique des SMS. Nous les avons équipés d’un portable en échange de quoi ils se sont engagés à nous livrer leurs SMS tous les mois. Au total, nous avons recueilli 5 000 SMS auprès de 19 jeunes âgés de 11-12 ans. Nous nous sommes aussi basés sur leurs bulletins scolaires et leur avons fait passer une dictée standardisée au 9e mois de l’étude. Au regard de leurs SMS, il s’avère qu’en moyenne un peu plus de la moitié des mots contiennent des « fautes ». On les appelle des « textismes », des changements dans l’orthographe par rapport à l’écrit traditionnel - par exemple, « tu fe koi » au lieu de « tu fais quoi ». Nos résultats montrent que la densité de textismes n’est pas liée au niveau en orthographe. Les élèves forts ou faibles en orthographe sont restés respectivement forts ou faibles pendant un an, quelle que soit leur pratique des SMS. Le seul lien trouvé, c’est que les meilleurs élèves en orthographe sont ceux qui s’emparent le plus rapidement des textismes, les élèves faibles ayant un apprentissage plus lent de « l’écriture SMS ».

Que faut-il en déduire ?
Que le fait de pratiquer les SMS ne change pas le niveau en orthographe. Les deux registres, langage SMS et écrit traditionnel, sont indépendants l’un de l’autre. Les enseignants n’ont donc aucune raison de percevoir les SMS comme une menace. Au contraire, ceux-ci constituent - au même titre que les mails ou les réseaux sociaux - une nouvelle occasion de pratiquer l’écrit, alors que celui-ci était restreint auparavant à l’école et à quelques cartes postales !

L’apparition du langage SMS est-il un bouleversement ?
A mon sens, c’est un bouleversement du même ordre que la découverte de l’imprimerie, dans la mesure où il s’agit d’un registre de l’écrit totalement nouveau, apparu de façon fulgurante depuis le début des années 2000, avec de nouveaux codes qui échappent au cadre institutionnel. Les individus s’en sont emparés massivement, surtout les adolescents, avec près de 85 % d’utilisateurs chez les 12-17 ans. Pour comprendre la portée historique du phénomène, il faut rappeler que l’écrit a d’abord été réservé à la religion, puis aux relations avec l’Etat et l’administration, puis, à l’instauration de l’école obligatoire, à l’apprentissage des connaissances. Seules la littérature et la poésie échappaient aux formes institutionnelles de l’écrit. L’existence de différents registres de l’oral est depuis longtemps admise par tous : on ne parle pas de la même façon entre amis, en classe... L’idée d’une multiplicité de registres de l’écrit est très récente.

Les SMS peuvent-ils être utilisés comme support d’apprentissage ?
Si on considère qu’il existe différents registres de l’écrit tout aussi légitimes que celui qu’on apprend à l’école, il faut les prendre en compte. Des tentatives fructueuses de « mobile learning » (« mLearning ») ont déjà été faites dans ce sens avec des étudiants. Par exemple, un enseignant pratique le « mLearning » lorsqu’il envoie des listes de mots à apprendre dans une langue étrangère sur les mobiles de ses élèves. En 2010, l’Unesco a publié un document appelant au développement de ce type de projets.