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Rémi Thibert, sur le plan numérique : « La nécessité de faire évoluer les pratiques pédagogiques est peu abordée »

Rémi Thibert est chargé d’études et de recherche à l’Institut français de l’éducation.

Le ministre de l’éducation nationale, Vincent Peillon, a présenté, en décembre, sa « stratégie » pour développer l’usage du numérique à l’école. Celle-ci vous semble-t-elle être en rupture avec les précédentes politiques menées en la matière ?
Il y a eu, depuis les années 1970, une quinzaine de plans en faveur de l’informatique et du numérique, dont cinq depuis les années 2000. Ceux-ci ont été surtout caractérisés par une logique d’équipement. Si cette logique perdure - c’est une phase nécessaire -, le plan de Vincent Peillon est pensé de manière plus globale. Il intègre d’autres dimensions, telles que les ressources numériques et la formation des personnels. Quelques manques nous laissent un peu sur notre faim. La nécessité de faire évoluer les pratiques pédagogiques est peu abordée. On en reste à la périphérie de l’acte pédagogique avec, par exemple, un nouveau service d’aide personnalisée en ligne pour les élèves en difficulté ou un service d’orientation pour les jeunes en décrochage scolaire. L’échelon de l’établissement est absent de ce plan, alors qu’il est essentiel dans la mise en œuvre de politiques numériques. Enfin, l’accent devrait être mis sur les compétences transversales des élèves - autonomie, collaboration, créativité... Or, le plan de M. Peillon est très centré sur les disciplines. A aucun moment il n’est fait mention d’une remise en cause du cloisonnement disciplinaire.

Où en est-on aujourd’hui du point de vue des équipements et des usages ?
Les collèges, les lycées et les enseignants à titre personnel sont relativement bien équipés. L’école primaire, elle, est un peu le parent pauvre, avec de fortes disparités selon les communes. De plus, si l’on regarde toutes les possibilités qu’offre le numérique aujourd’hui, on se rend compte que les usages sont assez limités. Les enseignants plébiscitent le vidéoprojecteur, le tableau blanc interactif, le diaporama. Mais l’utilisation des réseaux sociaux, la création de contenus numériques, les usages collaboratifs d’Internet restent des pratiques marginales portées par une poignée d’enseignants innovants. Dans son rapport sur le numérique de 2012, Jean-Michel Fourgous [député UMP des Yvelines] a défini quatre niveaux d’intégration du numérique par les enseignants : l’étape de découverte (utilisation personnelle des outils), d’adoption (utilisation professionnelle mais pédagogie inchangée), d’appropriation (pédagogie plus interactive) et de création (pédagogie innovante, élève acteur...). La plupart des enseignants se situent dans les deux premières étapes. Le numérique n’a pas d’influence notable sur la pédagogie.

Pourquoi ?
De nombreux rapports pointent une formation et un accompagnement insuffisants des enseignants. L’utilisation du numérique peut être vue comme chronophage. Tant qu’il n’existe pas, dans les établissements, de dynamique collective autour du numérique, les enseignants peuvent avoir le sentiment de dépenser beaucoup d’énergie pour des résultats qui ne sont pas à la hauteur de leur investissement personnel. Par ailleurs, le numérique implique une évolution de la forme scolaire actuelle avec son cloisonnement disciplinaire et sa pédagogie transmissive. Il permet la collaboration, les interactions, l’individualisation... Dans cette configuration, l’enseignant n’est plus l’unique détenteur du savoir. Il aide l’élève à développer des compétences de sélection de l’information, de communication et de travail collaboratif, à prendre une distance critique vis-à-vis des contenus numériques, à apprendre à apprendre. C’est un changement de culture. Il est normal que les enseignants y soient réticents s’ils ne sont pas accompagnés.

Quel est l’intérêt pédagogique du numérique ?
Les recherches ne montrent pas d’impact réel du numérique sur les résultats des élèves si les pratiques enseignantes restent inchangées. Cela dit, l’intérêt pédagogique est réel, car le numérique rend l’élève davantage acteur et a un effet motivant. Le numérique est aujourd’hui partout. Il bouleverse nos habitudes, les rapports sociaux, le rapport au savoir... L’école ne peut être seulement spectatrice de ces évolutions. Elle a un rôle fondamental à jouer pour résorber la fracture sociale et culturelle liée au numérique. Elle doit aussi faciliter l’intégration des jeunes dans un marché du travail qui, lui, a totalement intégré le numérique.