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Roger Crucq : « L’école est le reflet d’une société qui fait plus facilement appel à la justice qu’avant »

Roger Crucq est le président de la Fédération des Autonomes de solidarité laïque (FAS).

Quel est le rôle des Autonomes de solidarité laïque ?
Les Autonomes ont pour mission de protéger les personnels d’éducation impliqués dans une relation conflictuelle. Elles ont été créées en 1903, et sont aujourd’hui présentes dans tous les départements de France. Sur les 460 000 adhérents qu’elles mutualisent, 80% sont enseignants, soit la moitié des enseignants du public. Les militants départementaux cherchent, quand cela est possible, à éviter la judiciarisation du conflit en proposant une remédiation. Chaque association départementale est en lien avec un ou deux avocats. Au total, 150 avocats travaillent avec les Autonomes de solidarité laïque. Depuis 2008, elles sont également associées à la MAIF.

Vous publiez un bilan annuel des conflits en milieu scolaire, à partir des dossiers de vos adhérents. Quels sont les derniers chiffres ?
En 2010-2011, 5052 dossiers ont été traités. Un chiffre relativement stable depuis trois ans, comme l’est le nombre d’adhérents. 1329 situations ont été réglées à l’amiable par le réseau militant. 3723 ont nécessité une action juridique. Cela va d’un courrier envoyé à un parent qui se serait livré à des propos insultants ou diffamatoires pour lui rappeler la loi et l’encourager à présenter ses excuses, jusqu’au dépôt de plainte, voire le tribunal. Comme les années précédentes, la majorité des dossiers concernent les incivilités et les petits faits de violence. Les conflits entre personnels sont en augmentation [6,7% des dossiers en 2010-2011, contre 5,6% en 2009-2010], tout comme les situations de harcèlement. Enfin, dans un contexte de précarisation de l’enseignement, on a de plus en plus de dossiers prud’homaux, liés, notamment, à des formations non assurées ou des procédures de licenciement.

Y a-t-il des établissements plus exposés ?
Les difficultés relationnelles sont assez homogènes quels que soient les lieux géographiques. Les conflits, vous les rencontrez dans un lycée huppé d’une grande ville comme au fin fond de la Bretagne. L’acte scolaire génère des risques relationnels qui peuvent dégénérer en conflit.

Comment expliquez-vous la hausse des conflits entre personnels ?
Ces conflits n’attiraient pas notre attention il y a dix ans. Non pas qu’ils n’existaient pas, mais ils étaient réglés à l’intérieur de l’établissement. Les enseignants avaient une haute opinion de leur profession et préféraient ne pas dévoiler sur la place publique leurs difficultés relationnelles. Cet esprit de corps a volé en éclat. Sans doute la disparition des écoles normales y est-elle pour quelque chose. Nous vivons aussi dans un monde qui prône davantage l’individualisme que le projet collectif, dans une société sous pression, ce qui rend le passage à l’acte plus facile. On se retient moins.

Le chef d’établissement est-il particulièrement concerné ?
Les chefs d’établissement et les directeurs d’école représentent 6% de nos adhérents et sont concernés par 20% des dossiers traités en 2010-2011. Ils sont donc, en effet, assez exposés. C’est leur fonction qui peut générer des tensions, car ils sont le réceptacle de relations conflictuelles. Souvent sollicités pour résoudre une situation et donc amenés à trancher, ils peuvent se trouver dans une relation tendue avec celui à qui ils n’ont pas donné raison. Ils seront probablement davantage exposés dans les années à venir. Le chef d’établissement est en effet de plus en plus positionné comme un chef d’entreprise. Cela va forcément générer un autre type de relations avec les enseignants et donc, peut-être, des tensions.

On entend parler d’une « judiciarisation » de l’école. Confirmez-vous ce phénomène ?
On observe, tant du côté des enseignants que des parents, une volonté de faire appel à la justice pour résoudre un conflit. C’est un fait de société. Une société qui veut réparation à tout et fait plus facilement appel à la justice qu’avant. Je ne crois pas que l’école soit un sanctuaire, elle est le reflet de la société et de ses maux. Le problème, c’est que les enseignants maîtrisent mal le droit. Il est important que, dans la formation des enseignants, il y ait une initiation au droit. C’est aussi ce que fait la FAS en organisant des interventions sur la responsabilité pénale des personnels.