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La Lettre

Focus

Est-il raisonnable de lier diplôme et citoyenneté ?

Au départ était une mesure dictée par de bonnes intentions : créer un rituel, valoriser la réussite, promouvoir la République... A l’arrivée, une question  : et si la cérémonie « citoyenne » de remise du brevet pouvait, involontairement, être un symbole d’exclusion ?


La « citoyenneté » et les « valeurs de la République », propulsées de manière très compréhensible, depuis janvier 2015, au sommet des discours et des priorités de la politique éducative, présentent à la fois le défaut et la qualité de pouvoir être accommodées à toutes les sauces et d’être aptes à colorer de bleu-blanc-rouge toute action ou mesure, même a priori éloignée de cette thématique. Il en résulte un risque de confusion, qui peut se retourner contre ce que l’on entend promouvoir.
Selon Philippe Tournier, proviseur à Paris et responsable du syndicat majoritaire des personnels de direction, c’est précisément ce qui s’est produit avec la décision, annoncée au printemps et confirmée par une note de service publiée au BO du 22 juin, d’organiser une « cérémonie citoyenne » de remise du diplôme national du brevet (DNB). Plus précisément  : du brevet et du certificat de formation générale (CFG), diplôme délivré chaque année à quelques milliers d’élèves relevant de parcours particuliers.
Cette cérémonie, organisée à compter de l’année scolaire en cours, doit se dérouler, « de préférence, dans les quinze jours précédant les vacances de la Toussaint », indique la note. L’échéance est donc très proche. Mais où est le problème ? Il ne se détecte pas forcément au premier abord, et c’est sans doute ce qui explique le peu de réactions publiques à l’annonce de cette mesure.
« Le diplôme national du brevet, explique la note ministérielle, atteste la maîtrise du socle commun (...) », lequel intègre « tout autant les connaissances et compétences scolaires que les valeurs fondamentales et les principes inscrits dans la Constitution de notre pays ». D’où l’idée de valoriser ce moment symbolique dans une cérémonie républicaine, rassemblant la communauté éducative, les élus territoriaux et les partenaires de chaque collège.
Un « temps solennel, vecteur de renforcement de l’identité de l’établissement », dit le texte. Et qui, est-il ajouté, «  à partir de 2017  », sera aussi l’occasion de remettre aux élèves leur « livret citoyen ». Même si cette dernière précision n’était pas donnée, c’est dans le lien fait, apparemment en toute innocence, entre diplôme et citoyenneté que le bât blesse. Le fait de décrocher ou pas un diplôme est une particularité individuelle. La citoyenneté, elle, est inconditionnelle. Le citoyen le plus illettré a droit à sa carte d’électeur, que personne ne songe à lui disputer.
« On en fait des tonnes en créant une confusion entre citoyenneté et scolarité, s’emporte Philippe Tournier, veut-on faire comprendre que ceux qui n’ont pas le DNB ne seront pas de bons citoyens  ? » Autrement dit, une cérémonie de remise d’un diplôme est une chose, une cérémonie «  citoyenne  » en est une autre. Surtout si elle comporte des perdants et des exclus  : les 87,3 % de réussite au brevet 2016, selon les résultats provisoires, ne vont pas sans les 12,7 % de candidats et les quelque 18 % d’une classe d’âge qui ne l’ont pas. Et ceux-là représentent «  la partie la plus fragile de notre jeunesse  », se désole M. Tournier.
Cette partie que l’on va ainsi exclure symboliquement alors même qu’elle arrive, en fin de collège, au terme de son parcours dans ce qui a été pensé comme «  l’école inclusive  ». Même si les symboles sont toujours importants, il n’y aura pas de graves conséquences  : les équipes éducatives et les chefs d’établissement, dont certains organisaient déjà des rituels de remise du diplôme, vont se débrouiller pour « arranger le coup ». Tout le monde peut se tromper, dans l’élan des nobles intentions « citoyennes ». L. C.