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Fabien Truong : « Les jeunes des quartiers ne s’engagent pas dans les études que pour eux-mêmes »

Ancien professeur de SES, Fabien Truong est enseignant en sociologie à Paris-VIII, auteur de Jeunesses françaises, bac + 5 en banlieue (La Découverte)

Dans votre livre, « Jeunesses françaises, bac+5 made in banlieue » , vous retracez le parcours de vingt de vos anciens élèves de lycée qui ont fait des études supérieures. Comment expliquez-vous la persistance de certaines affirmations fausses comme « ça ne sert à rien de faire des études » ?
L’idée que les études ne serviraient à rien pour les jeunes issus des milieux populaires est une contre-vérité statistique. Une part de plus en plus importante d’entre eux accède à l’enseignement supérieur et fait des études de plus en plus longues. En revanche, le temps de rentabilisation des diplômes, pour qu’ils se traduisent sur un plan professionnel, est plus long pour eux. Ils subissent souvent un décalage de deux ou trois ans par rapport aux diplômés d’autres milieux sociaux, qui disposent de plus de leviers. Leurs paroles vont donc beaucoup varier selon le moment où on les interroge. Je pense par exemple, parmi les parcours racontés dans mon livre, à celui de Kader. Il obtient un baccalauréat ES [économique et social], ce qui signifie vraiment quelque chose par rapport à ses amis et à sa famille. Il s’imagine faire un master et devenir entrepreneur, mais il rate ses premières années de licence et, au bout de trois ans, se retrouve sur les chantiers avec son beau-père. Son discours, à l’époque, est « j’ai joué le jeu, pour aucun résultat ». En fait, deux ans plus tard, il décroche un boulot de standardiste dans un établissement privé d’enseignement de l’anglais. Pourquoi ? Parce que, même s’il n’a pas terminé, il a étudié en langues étrangères appliquées (LEA) après avoir eu une bonne note en anglais au bac. Ce n’est pas le boulot de ses rêves mais déjà, son état d’esprit change. Ensuite, il réussit un concours de la RATP, où il travaille aujourd’hui, en étant très investi -il est militant syndical- et fier de son statut professionnel. Son opinion sur la valeur de ses études a évidemment beaucoup changé entre le premier et le deuxième temps. Suivre ainsi des trajectoires sur une longue durée permet, sans être angélique ni caricatural, de révéler ces évolutions. Une erreur fréquente lorsqu’on parle des jeunes des quartiers populaires issus de l’immigration est de les essentialiser, en transformant des moments en états.

La réalité de ce deuxième temps positif ne devrait-elle pas avoir raison des ressentis et des propos victimaires ?
En général, la réussite est moins spectaculaire que l’échec. Et son chemin reste dur. On peut mettre en exergue certains parcours statistiquement exceptionnels, comme dans le cadre des conventions éducation prioritaire de Sciences Po mais, même dans ce cas, cela passe par des moments violents, comme ceux qu’a vécus Sarah, dont je parle dans le livre. La première année, elle pleure, elle veut tout abandonner. Si on l’avait interrogée alors, on aurait pu entendre un point de vue de type victimaire. C’est aussi un moment où elle embrasse très fortement la religion musulmane, comme une carapace pour se protéger contre le mépris de classe. C’est une façon de retourner le stigmate, selon la célèbre formule du sociologue et linguiste américain Erving Goffman. L’observation sur un temps long permet de voir que, quatre ans après, son rapport à la religion est plus apaisé. Dans son cursus, elle a voyagé, notamment en Turquie et au Liban. Elle a vu que ce qu’elle vivait comme une ressource symbolique et pratique en France était ailleurs source de divisions et de postures qui ne correspondaient pas à sa propre recherche. Si le second temps, celui de l’insertion professionnelle, ne résonne pas toujours aussi fort que le premier, c’est aussi parce que les enfants des milieux populaires issus de l’immigration ont une attente exceptionnellement forte par rapport à l’éducation : pour eux, un niveau d’études supérieur à celui de leurs parents doit nécessairement se traduire par un emploi « supérieur » dans des proportions au moins identiques. Ils ne s’engagent pas dans les études que pour eux-mêmes mais avec un mandat implicite de réussite collective, pour la fierté de leur famille et surtout pour effacer un ensemble d’humiliations sociales. Le temps d’« activation » des études sur le plan professionnel et la déception subie à ce moment-là produisent un discours de désenchantement. Par rapport aux attentes, le décalage est dur à vivre.

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