Jacques-Benoît Rauscher est auteur d’une thèse de sociologie consacrée aux professeurs de classes préparatoires.
Face à la fronde des enseignants de classes préparatoires aux grandes écoles - 60% d’entre eux étaient en grève le 9 décembre -, le ministre de l’éducation a annoncé la poursuite des négociations sur leurs décharges horaires. Historiquement, quel est le positionnement de la gauche face aux prépas ?
Pour la gauche de gouvernement, les classes préparatoires renvoient soit à l’idéal républicain de la IIIe République qu’il faut défendre, soit à l’image d’un élitisme peu démocratique qu’il faut combattre. En 1981, Alain Savary, ministre de l’éducation de François Mitterrand, souhaite les intégrer à l’université. Le conflit est ouvert, et le tournant de 1983, avec l’arrivée du normalien ex-khâgneux Laurent Fabius à Matignon, clôt le débat. En 1998, Claude Allègre propose de revoir la rémunération des heures supplémentaires. A chaque fois, les enseignants ont eu gain de cause ; leur spécificité a été maintenue.
Vous avez soutenu une thèse en 2010 sur ces enseignants, intitulée « Une élite au service d’une élite ». En quoi se distinguent-ils des professeurs du secondaire ?
D’abord, ils sont plus diplômés. Dans le public, 90% d’entre eux sont agrégés. Dans les années 1950, beaucoup se battent pour obtenir un statut spécifique qui les différencierait des enseignants du secondaire. En 1968, le débat est tranché par la négative. En contrepartie sont créées les chaires supérieures, corps distinct auquel peuvent accéder les agrégés de CPGE et qui regroupe aujourd’hui un quart d’entre eux. Les professeurs de prépas sont aussi plus autonomes dans l’exercice de leur métier et mieux payés. D’après mon enquête réalisée en 2009 et reposant sur un échantillon représentatif de 871 enseignants, 84% gagnent plus de 3 000 euros net mensuels et 41% plus de 4000 euros. Leur origine sociale les distingue également : 53% ont un père cadre, contre 18% de l’ensemble des professeurs du secondaire.
Peut-on dresser un portrait-robot de ces 8 000 enseignants ?
La réalité est hétérogène. Les CPGE ne sont pas que dans les grands lycées parisiens : sur 324 lycées à classes préparatoires, 231 sont hors de l’Ile-de-France et 171 ont une seule filière. Il y a une grande différence entre l’enseignant d’une petite prépa dans une petite ville et le professeur d’un grand lycée parisien. Par exemple, le premier passe beaucoup de temps au recrutement dans les lycées du secteur, sinon il ne remplit pas ses classes ! Dans les prestigieux établissements parisiens en revanche, les enseignants sont en contact étroit avec les grandes écoles. Cette différence est essentielle : ma thèse démontre que plus l’enseignant est investi dans les jurys de concours, dans les relations avec les écoles, plus les élèves ont de chance de les intégrer, et ce quel que soit le capital culturel de l’enseignant lui-même.
Quelle est leur pédagogie ?
Les cours restent classiques, souvent magistraux. En revanche, ils développent une relation personnalisée avec leurs étudiants, notamment grâce aux colles. Dans cette relation directe avec l’étudiant, ils font preuve d’innovation, jouant autant le rôle de coach que de professeur.
Comment devient-on professeur de prépa ?
Plusieurs chemins sont possibles. En sciences, certains enseignants sont sélectionnés dès l’agrégation. Il s’agit souvent d’éviter qu’ils partent dans le privé. Pour ceux qui sont repérés plus tard, sont pris en compte leurs résultats à l’agrégation, leur parcours - notamment leur éventuel passage par Normale-Sup -, l’inspection réalisée par un inspecteur général et leurs titres universitaires. Etre titulaire d’un doctorat devient de plus en plus nécessaire pour accéder aux CPGE.
De quelle carrière rêvent-ils ?
Lorsqu’on est nommé professeur de CPGE, en réalité, on le reste. 69 % des enseignants interrogés m’ont dit vouloir rester à leur poste, 15 % changer de filière, 10% d’établissement. Beaucoup excluent de passer à l’université. Cela s’explique par le fait que le salaire en CPGE est souvent plus avantageux, mais aussi parce qu’ils aiment avant tout enseigner et pas forcément faire de la recherche. Lors des entretiens, ils m’ont souvent dit qu’être en prépa leur permettait de « ne faire que le prof », à la différence du secondaire ou de l’université.
Personnels Vincent Peillon reporte ses décisions sur les enseignants du secondaire
Enseignement primaire Programmes : ce que dit la synthèse de la consultation au primaire
Enseignement secondaire La suppression de la note de vie scolaire est effective
Enseignement professionnel Le ministère veut simplifier l’organisation du bac professionnel
Politique éducative Effectifs, travail en équipe : la FSU décrypte les attentes en ZEP
Politique éducative Les partenariats, un outil au service de la pédagogie
Enseignement supérieur Seul un étudiant sur deux réussit la 1re année de licence du premier coup
Enseignement supérieur Les instituts d’études politiques augmentent leurs frais de scolarité
Vie étudiante La situation sociale des étudiants toujours aussi difficile
Les chiffres Le système éducatif est financé pour 25% par les collectivités territoriales