Et si, soudain, la jeunesse laissait éclater sa colère contre un monde adulte incapable de lui laisser entrevoir la moindre perspective positive ? La grande peur suscitée par la contestation de la « loi travail » révèle le déficit de légitimité qui frappe les autorités instituées.
Un matin d’octobre 2015, un lycée parisien s’était trouvé « bloqué » : poubelles empilées, attroupement... Le mot d’ordre ? Venu d’on ne sait où. Le motif ? « Pour les migrants », expliquait une élève, sans pouvoir développer. Pas d’organisateur identifié, ni d’événement déclencheur précis. Un incident éphémère, mais révélateur d’un « fond de l’air » inflammable. Les éruptions lycéennes n’ont jamais eu besoin, pour démarrer, d’un discours structuré. Celui-ci arrive après coup, avec l’encadrement apporté par des organisations qui, en temps ordinaire, sont ignorées de la masse des élèves. Dans le monde étudiant, plus politisé, doté de structures militantes plus stables, le niveau de rationalité d’un « mouvement » est plus élevé. Mais lorsque ces deux âges sont à l’unisson, c’est le cauchemar du pouvoir en place, auquel la jeune génération veut arracher une « victoire » symbolisant son affirmation sur la scène publique.
Il y a dix ans, le mouvement contre le contrat première embauche (CPE) s’était traduit, après plus de deux mois d’épreuve de force, par l’abandon d’une loi déjà promulguée... L’évocation de cet anniversaire a pris une résonance particulière à la faveur de l’émergence fulgurante, durant les congés scolaires de février, de la contestation de la « loi travail ». Devant la perspective d’une journée d’action le mercredi 9 mars, date à laquelle la ministre du travail, Myriam El Khomri, devait présenter son projet en conseil des ministres, le gouvernement a reculé en annonçant un report de quinze jours pour « retravailler » le texte.
Certes, le CPE était une mesure ciblant spécifiquement les jeunes. Ce n’est pas le cas pour l’actuel projet. Néanmoins beaucoup d’ingrédients forment un mélange détonant. Le dernier mouvement lycéen d’envergure, ayant terrassé la réforme Darcos, remonte à décembre 2008, et la dernière mobilisation étudiante au début 2009, en appui à la contestation de la loi Pécresse sur l’université. Ce temps écoulé est aussi l’accumulation d’un potentiel. Le projet El Khomri comporte, même s’il ne s’y réduit pas, des révisions à la baisse de certaines garanties sociales, donnant prise à son interprétation comme une promesse de « précarité à vie ». Plusieurs sondages ont montré que l’opinion publique y perçoit majoritairement une menace.
L’affaiblissement du pouvoir exécutif est un autre élément, aggravé par la fracture au sein de la gauche qui, outre l’activation de réseaux militants rêvant d’en découdre, donne à la contestation un étayage intellectuel. Le succès sans précédent de la pétition « Loi travail : non merci ! », flirtant début mars avec le million de signatures et massivement relayée sur les réseaux sociaux, a achevé de semer l’inquiétude en haut lieu, devant un possible « péril jeune ».
A l’approche du 9 mars, le moindre éternuement à l’entrée d’une fac ou d’un lycée est guetté. Cet empressement serait-il l’écho d’une mauvaise conscience très partagée sur la situation faite à la jeunesse ? Celle-ci reçoit en héritage un monde anxiogène où, de la raréfaction de l’emploi jusqu’au désastre climatique en passant par la crise des migrants ou la montée du djihadisme, aucune solution ne pointe à l’horizon. Nul ne sait si la protestation « prendra » ou pas. Les mouvements de jeunes ne se lisent pas dans le marc de café. En revanche, il est certain qu’une difficulté supplémentaire se place en travers de la transmission des connaissances et des valeurs dont l’école est un des vecteurs : l’état du monde frappe l’autorité adulte d’un sérieux déficit de légitimité.
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