Agrégé et docteur en histoire, chargé d’études laïcité à la DGESCO, Benoît Falaize vient de publier Enseigner l’histoire à l’école (Retz) et L’histoire à l’école élémentaire depuis 1945 (Presses universitaires de Rennes).
Selon vous qui étudiez particulièrement « l’histoire de l’enseignement de l’histoire », peut-on dire, après les polémiques du printemps dernier sur les nouveaux programmes, que, cette fois, le débat est clos ?
Selon toute probabilité, non. Car on voit bien, au fil des années, à quel point chaque actualité liée à l’enseignement de l’histoire fait revenir au premier plan une série de questions vives qui parcourent l’ensemble de la société. L’histoire a une place singulière en France, bien au-delà de son statut de discipline scolaire. Elle renvoie aux interrogations sur l’identité nationale, sur la cohésion sociale. Elle a aussi partie liée avec l’identité de l’école elle-même. Depuis le XIXe siècle, le fait d’enseigner l’histoire si tôt, dès l’école primaire, et de continuer jusqu’à la fin du parcours scolaire, est, en effet, une particularité française. Cette histoire enseignée a été construite pour donner sens à un récit où la Révolution française est installée, dans la conscience collective, comme l’événement national majeur et fondateur de la citoyenneté.
Comment recevez-vous l’argument selon lequel on serait en train de « couper la jeunesse de ses racines » ?
Comme un argument récurrent, et aussi comme une vieille idée fausse. L’enseignement de l’histoire s’est toujours accompagné de déplorations, assurant que c’était « mieux avant ». On les trouve dans les rapports d’inspection du début du XXe siècle, dans des revues pédagogiques d’après la Libération... Cette thématique a été relancée en 1979 par l’article d’Alain Decaux dans Le Figaro Magazine, intitulé « On n’enseigne plus l’histoire à nos enfants ». Dire que c’est faux ne procède pas d’un choix idéologique. Sur un strict plan factuel, l’histoire nationale est bel et bien enseignée dès le primaire en France. La vraie question est de savoir de quelle manière.
Certains politiques continuent de défendre le « roman national », qu’ils jugent en péril...
Si l’on réfère à la IIIe République, appelons-le « récit national républicain ». Celui-ci est aujourd’hui historiquement dépassé. Qui, dans sa classe pourrait aujourd’hui vanter la colonisation ? Qui pourrait ignorer l’émergence du droit des femmes ou l’histoire économique et sociale ? L’enseignement de l’histoire a évolué vers des démarches plus critiques et plus conformes aux acquis de la recherche. Pourtant, l’approche patriotique qui serait de « faire aimer la France », selon la formule de Lavisse, garde une certaine audience dans le milieu intellectuel français. Cet enracinement tient peut-être au fait que ce récit patriotique était porté par le camp du progrès. Mais il fonctionne aujourd’hui comme une madeleine de Proust...
Venant d’autres horizons, l’affirmation revient en boucle que certains sujets comme l’esclavage ou les guerres coloniales seraient occultés...
Là encore, il faut s’en tenir aux pratiques réelles et à la considérable évolution des programmes et des manuels scolaires, du secondaire comme du primaire. Depuis une vingtaine d’années maintenant, les enjeux de mémoire ont fait l’objet d’une véritable prise en compte historique, adossée à la recherche la plus récente, dans les prescriptions, les outils pédagogiques comme dans les pratiques des enseignants. On ne peut plus dire que les sujets sensibles seraient occultés.
Vous évoquez, dans vos livres « l’urgence de réinventer un récit cohérent »...
Pourvu qu’il ne soit pas trop tard ! Car cette nécessité émerge depuis les années 1980. Le développement de l’histoire de l’immigration a imposé l’idée d’ancrer à nouveau l’apprentissage de l’histoire dans un grand récit intégrant la pluralité du monde et des populations présentes sur le sol national. Or, le cadre national n’a pas disparu, on le voit bien. Le nôtre, du reste, est lui-même historiquement très global, du fait de la colonisation et de ses conséquences. Former les enfants à l’intelligence qu’offre l’analyse de ce passé et offrir un récit global, complexe et intégrateur, c’est aujourd’hui, plus que jamais, la finalité et l’urgence de cet enseignement. C’est un chantier ouvert, à un moment où la violence de l’histoire en marche nous saisit.
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