Que la France compte 5 millions ou 8,8 millions de pauvres, selon qu’on fixe à 50% ou 60% du revenu médian le seuil de pauvreté, celle-ci se répercute sur les publics scolaires et représente la pointe avancée d’une crise sociale qui n’a cessé de s’approfondir depuis trente ans
On accable souvent le système éducatif français pour son incapacité à juguler les déterminismes sociaux. Une autre façon de voir, qui n’annule pas la première, serait d’apprécier, dans l’autre sens, la façon dont la situation sociale entrave l’action de ce système. Ce qui n’évolue que lentement et abstraitement, à la vitesse des statistiques, surtout si celles-ci sont routinières et répétitives, finit par échapper à la réflexion.
C’est ainsi que les effets délétères de trente ans de développement continu d’un chômage et d’une précarité de masse entrent peu en ligne de compte dans les analyses, volontiers sévères, sur le degré d’efficience de l’école. Serait-elle aussi durement critiquée si les « jeunes des quartiers » étaient attendus par des entreprises en mal de recrutement, si la promesse d’une qualification équivalait à celle d’un emploi stable (un mot que l’on n’ose plus prononcer) permettant de construire sa vie et si le défaut de qualification ne signifiait pas le risque d’être englouti dans la masse des « invisibles », ni en emploi, ni au chômage, ni en formation ?
Le prisme de la pauvreté offre une autre vue sur l’âpreté du terrain que l’éducation nationale est censée labourer. Le 14 février, le Conseil économique, social et environnemental (Cese) a célébré le trentième anniversaire d’un texte historique : intitulé « Grande pauvreté, précarité économique et sociale », il avait été présenté en février 1987 dans cette instance par le père Joseph Wresinski, fondateur d’ATD Quart Monde. Cet « avis » a été, rappelle le Conseil, à l’origine de diverses avancées dans la politique de lutte contre la pauvreté : revenu minimum d’insertion, couverture maladie universelle, droit au logement opposable... Mais les dispositifs, aussi utiles soient-ils, ne font pas la prospérité ni son partage et le Cese, dans cette même séance du 14 février, a bien été obligé d’appeler à « poursuivre résolument la lutte contre la grande pauvreté ».
Le taux de chômage, à 8,7% en 1987, est monté à 10,3% dix ans plus tard, avant de retomber à 7,1% en 2008 puis de remonter à 102 % en 2015. Fin 2016, constatait l’Observatoire des inégalités, « la France comptait 5 millions de pauvres si l’on fixe le seuil de pauvreté à 50 % du niveau médian et 8,8 millions si l’on utilise le seuil à 60 %, selon les données 2014 de l’Insee (dernière année disponible) », soit 1 680 euros mensuels pour un célibataire. « En France, 6 % des ménages ne peuvent maintenir leur logement à bonne température, 17 % ont un logement bruyant et un tiers ne peut pas se payer une semaine de vacances au moins une fois dans l’année (données 2012) »...
Le travail des enseignants, même si l’on tend à l’oublier, se heurte notamment à ces réalités sociales, alors même que les exigences de qualification, de compétitivité de disponibilité, de mobilité, etc. - posées aux jeunes générations - ne cessent de s’accroître. Que faire, alors, pour adapter l’école à ce contexte ? Le rapport « Grande pauvreté et réussite scolaire », présenté en 2015 par l’ex-DGESCO Jean-Paul Delahaye, comporte à cet égard des propositions fortes, mais contestées par une partie du monde enseignant qui ne veut se reconnaître ni dans l’école « inclusive » qu’il propose ni dans les perspectives de réforme dans lesquelles il s’inscrit.
Il est normal que les constats soient partagés mais que les solutions divergent. Encore faudrait-il reconnaître à cette approche deux qualités : la modestie de ne pas préconiser une pédagogie idéale et le fait de ne pas évacuer la crise sociale comme le font les polémistes du déclin scolaire. L. C.
Focus La pauvreté demeure un obstacle et un défi pour l’école
Partis politiques François Fillon pour l’abaissement de la majorité pénale à 16 ans
Partis politiques Répliques cinglantes entre Marine Le Pen et Najat Vallaud-Belkacem
Repères La banlieue, oubliée du quinquennat ?
Santé 18% des élèves de CM2 sont en surcharge pondérale
Enseignement professionnel 8 300 apprentis dans la fonction publique d’Etat
Les publications Démocratiser l’accès à l’école ou la réussite ?