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Patrick Roumagnac : « Nous nous refusons à relayer le discours officiel sur la réduction des moyens »

Patrick Roumagnac est secrétaire général du SIEN-UNSA, syndicat des inspecteurs de l’éducation nationale.

Le SIEN-UNSA a rencontré, le 6 septembre, les enseignants du primaire dits « résistants pédagogiques ». L’UNSA avait eu des mots très durs envers eux l’année dernière. Pourquoi ce revirement ?
Je pense que les résistants pédagogiques ont changé depuis le début de leur mouvement en 2008. Ils se sont mieux structurés. Ils ont nuancé leurs positions. Ils se réaffirment désobéisseurs, mais expliquent qu’ils désobéissent à la lettre de certaines réformes, pas à l’esprit. Leur but est bien la progression des élèves en difficulté, mais ils jugent que les modalités de l’aide personnalisée ne permettent pas d’y parvenir. La logique de leur discours reste celle d’un engagement citoyen, pas syndical. Ils refusent un système éducatif qu’ils jugent en décomposition, mais, à la différence du SE-UNSA par exemple, ils ne proposent pas de solution alternative. Par ailleurs, dans un engagement syndical, vous tenez compte des différences de sensibilité des adhérents pour prendre des positions de synthèse. Eux sont dans un réseau et en assument le caractère hétérogène.

Quels sont les points de convergence que vous avez pu établir et les questions qui continuent de vous séparer ?
Nous avons dressé le constat commun des limites des évaluations en CE1 et CM2 : faire celle de CM2 en janvier est trop tardif pour aider les élèves en difficulté. Nous nous sommes également accordés pour estimer que l’aide personnalisée apportée par les enseignants dans leurs classes était indispensable à bon nombre d’élèves et qu’elle pouvait prendre des formes très différentes, sous la responsabilité de l’enseignant et de l’inspecteur de l’éducation nationale qui en valide les modalités. Mais qu’elle ne pouvait en aucun cas se substituer à l’action des Rased pour les élèves en grande difficulté.

Le problème des sanctions reste posé...
Nous sommes tombés d’accord pour reconnaître que les sanctions qui frappent une centaine de désobéisseurs constituent un double échec. Echec pour l’administration d’une part, qui n’a pas su trouver un terrain d’entente avec l’enseignant ou n’a pas su le convaincre. Echec pour l’enseignant d’autre part, qui s’est arc-bouté sur sa position sans trouver de solution alternative. Ces sanctions, tout le monde l’a reconnu, auraient pu être évitées. Une sanction est un échec pour tout le monde. Evidemment pour l’enseignant qui en est victime, mais aussi pour l’administration : toute sanction renforce le mouvement. Un désaccord demeure. A côté d’une éthique et d’une pratique pédagogique estimables, les désobéisseurs tiennent un discours trop radical. Un peu plus de souplesse de leur part mettrait de l’huile dans les rouages. Nous devons nous retrouver sous trois mois pour en reparler.

Les inspecteurs de l’éducation nationale ont-ils des points de désaccord spécifiques avec leur hiérarchie ?
Il y en a un énorme, la restriction de moyens. La suppression des postes d’enseignants nous pose un gros problème professionnel. Nous ne pouvons répercuter le discours officiel qui est de dire que l’on va faire mieux avec moins de moyens. Cela reviendrait à dire que, jusqu’à aujourd’hui, enseignants, inspecteurs, cadres administratifs, ont dilapidé les ressources de l’Etat ! Bien au contraire, il faut dire et redire que diminuer les moyens, c’est diminuer la qualité de l’enseignement et que les élèves les plus faibles en seront les premières victimes. Tenir un propos différent serait mentir aux élèves et à leurs parents. C’est une source de problèmes avec notre hiérarchie. Nous nous refusons à relayer le discours officiel.

De quelle façon ces problèmes se matérialisent-ils ?
Certains inspecteurs d’académie et recteurs tiennent des propos très durs et tout à fait inhabituels : « Tout ce qu’on vous demande, c’est d’exécuter ce qu’on vous dit. » Quand un recteur déclare, en parlant des inspecteurs, « je sais faire la différence entre un jeune brillant et un vieux con », ce langage a la rondeur qui convient à une chanson de Brassens. Dans un discours rectoral, il est décalé. Ce sont des propos auxquels nous ne sommes pas habitués et auxquels nous n’avons nulle envie de nous habituer.