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« Devoirs faits »  : les clés multiples et subtiles de l’efficacité

Lutter contre l’inégalité des élèves face aux « devoirs » est une cause juste. Le développement d’un programme réellement durable et efficace ne peut cependant faire l’économie de la cohérence entre tous les acteurs de l’accompagnement, familles comprises


Parmi les quatre mesures que Jean-Michel Blanquer met au premier plan pour la prochaine rentrée figure le programme « Devoirs faits », qui devrait réaliser une des promesses formulées par Emmanuel Macron durant la campagne présidentielle : offrir à tous les élèves, du primaire au secondaire, un accompagnement après la classe.
Le ministre se propose de « dépasser la querelle stérile entre ceux qui affirment que les devoirs sont indispensables à une qualité de l’apprentissage et ceux qui y voient un risque d’accroissement des inégalités sociales ». Il résume ainsi la problématique : « Il peut y avoir des devoirs ; ils doivent pouvoir être faits, gratuitement et si les familles en formulent la demande, au sein de l’établissement, grâce à un temps d’études accompagné. »
Ce n’est pas la première fois qu’une action est entreprise en ce sens : « l’accompagnement éducatif » a été mis en place dans les collèges à partir de 2007 par Xavier Darcos. Ce dispositif, qui, outre l’aide aux devoirs, comportait aussi des pratiques sportives, artistiques, culturelles et de langues vivantes, faisait largement appel au tissu associatif. Sans jamais avoir été aboli, il a subi des déperditions successives, au point qu’un état des lieux est à l’ordre du jour.
Selon le calendrier annoncé le 13  juin, le programme « Devoirs faits » entrera en vigueur au collège dès septembre et sera « proposé aux élèves, sur le principe du volontariat ». « Son déploiement sera progressif sur les rentrées 2018, 2019 et 2020 », mais il sera dès la première année étendu aux collégiens hors éducation prioritaire.
L’objectif est de « s’appuyer sur les expériences qui fonctionnent, notamment dans l’éducation prioritaire, et de mobiliser l’ensemble des acteurs susceptibles de concourir à cette ambition » : enseignants volontaires rémunérés en heures supplémentaires, assistants d’éducation, personnes en service civique, associations... La mise à contribution de non-enseignants soulèvera forcément des objections.
Cette contestation-là ne sera qu’une partie des controverses possibles, car la question des « devoirs » pose une série d’interrogations complexes, sur lesquelles existent des recherches de qualité, notamment celles de Dominique Glasman (L’Accompagnement scolaire, PUF, 2001), Patrick Rayou (Faire ses devoirs, Presses universitaires de Rennes, 2009) ou Séverine Kakpo (Les Devoirs à la maison, PUF, 2012). Le réel service apporté aux enfants dont les familles ne sont pas, pour différentes raisons, en capacité de les aider pourrait, d’un autre côté, comporter un risque de « dessaisir » les familles populaires qui s’investissent dans le soutien de la scolarité de leurs enfants, parfois au prix de ces « dissonances » avec les attendus et les méthodes de l’école relevées par la chercheuse Séverine Kakpo. Une autre question ouverte porte, pour les collégiens, sur la difficulté de leur « vendre », dès la fin des cours, une ration supplémentaire de travail scolaire. Se reposera aussi l’impératif d’une cohérence entre les acteurs associatifs et les enseignants.
Comme sur d’autres sujets, le diable guette ici dans les détails afin qu’un soutien mal ajusté n’enferme pas l’élève dans ses difficultés. Un accompagnement pertinent passe par beaucoup de dialogue entre tous les acteurs, dans un esprit de responsabilité partagée. Banalité ? Oui, mais de celles qui font souvent défaut. Si, comme il faut le croire, ce programme est appelé à une application résolue, celle-ci, loin d’être mécanique et quantitative, devra s’accompagner d’un suivi rigoureux. L.C.