Le « devoir de réserve », souvent perçu exagérément dans l’éducation nationale comme une terrible épée de Damoclès, ne sera pas inscrit dans la loi comme il en a été question un temps. Il reste donc une création jurisprudentielle, par définition sujette à interprétations.
Le 29 mars, au Sénat, la commission mixte paritaire chargée d’examiner le projet de loi relatif à la déontologie, aux droits et obligations des fonctionnaires est parvenue à un accord sur ce texte, voté en octobre 2015 par l’Assemblée nationale, qui vise à « renforcer la déontologie des fonctionnaires et à ouvrir de nouveaux droits à ces derniers, tout en clarifiant leurs obligations ». Le projet sera soumis à l’accord de l’Assemblée à partir du 5 avril. Les sénateurs ont accepté que le « devoir de réserve » n’y figure pas explicitement, contrairement à un amendement introduit, lors de l’examen du texte au Sénat fin janvier, par René Vandierendonck (PS, Nord). Son adoption, à laquelle le gouvernement n’était pas favorable, aurait constitué une novation que les syndicats voyaient comme une menace sur la liberté d’expression des agents et un risque accru de procédures disciplinaires.
Si le « devoir de réserve » continue de s’imposer à tous les fonctionnaires, il reste ainsi du domaine de la jurisprudence, par définition ouvert aux interprétations, et non de celui, plus rigide, de la loi. La retenue dont doit faire preuve un agent dépend de ses fonctions, de son rang hiérarchique et des circonstances. On ne saurait mieux dire que son application est à géométrie variable. « C’est une notion qui n’est pas très claire », admet volontiers le juriste Bernard Toulemonde, ancien recteur et directeur de l’enseignement scolaire. Ce devoir, dont la jurisprudence est bâtie par le Conseil d’Etat, est lié à la fois au respect de la hiérarchie et à celui de la neutralité du service public. Le devoir de réserve, dans le monde enseignant, est moins strict que dans d’autres secteurs de la fonction publique. Un exemple relativement récent en donne l’illustration : Jean-Hugues Matelly, officier de gendarmerie, avait été radié des cadres en 2010 pour avoir critiqué, en tant que chercheur au CNRS, le rapprochement police-gendarmerie. En 2011, le Conseil d’Etat avait reconnu la faute mais ordonné sa réintégration, jugeant la sanction « manifestement excessive ».
Imagine-t-on un tel scénario à la suite d’une critique de la réforme du collège ? Poser la question est y répondre. Jusqu’à un certain point, le devoir de réserve s’accommode des controverses qui traversent l’éducation nationale. Le code de l’éducation stipule que les agents exercent « dans le respect des programmes et des instructions du ministre », et impose le respect de la chaîne hiérarchique. Le fonctionnaire de l’éducation ne peut donc pas désobéir (et les « désobéisseurs » peuvent donc être sanctionnés, ce qui s’est produit). En revanche, il peut faire la grève de la faim contre les nouveaux rythmes scolaires, publier des pamphlets contre la politique éducative, participer à des émissions de radio ou de télévision, parler à des journalistes, militer contre la réforme du collège... Le tout sans user des invectives parfois lues ou entendues çà et là... mais qui ne motivent que rarement des poursuites pour des raisons tenant à la fois à l’opportunité et à l’attachement général à la liberté de parole.
La notion de neutralité du service public, autrefois très rigide, a évolué vers plus de tolérance envers la confrontation des idées, « avec tact et mesure », précise toutefois Bernard Toulemonde. Loin d’être, comme on le croit souvent, une épée de Damoclès au-dessus de la tête de chaque enseignant, le devoir de réserve est appliqué avec mansuétude. Il est cependant plus strict à mesure qu’un agent est haut placé dans la hiérarchie. Peut-être une des explications de la « langue de bois » ?
Focus Le « devoir de réserve », un principe à géométrie très variable
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