Louis Gruel est sociologue, chargé de mission à l’Observatoire de la vie étudiante (OVE).
Cette interview a été réalisée le 10 décembre ; Louis Gruel est décédé dans la nuit du 23 au 24 décembre.
Pourquoi affirmez-vous dans l’ouvrage Les Etudiants en France, que vous avez dirigé, que « l’étudiant est trop souvent réduit à un cliché » ?
L’université réduit l’étudiant à celui qui suit le cours, en occultant des pans entiers de sa vie quotidienne. Il était fréquent, dans les années 1990, que les rapports d’évaluation des universités ne disent pas un mot sur les conditions de vie des étudiants, censées relever des œuvres universitaires. Aujourd’hui encore, les universités font peu d’efforts. Aménager les emplois du temps pour les étudiants qui travaillent, développer les loisirs... Ces questions commencent à être prises en compte, mais de façon très inégale. Les bonnes pratiques mettent du temps à se généraliser. Il y a encore beaucoup à faire !
Si « la proportion d’étudiants très pauvres est limitée », vous déclarez que « le niveau de vie est sous tension ». Pourquoi ?
Les situations de vie sont très contrastées. On peut globalement identifier quatre catégories d’étudiants : ceux qui vivent chez leurs parents ou ceux qui y reviennent fréquemment. Ceux-là n’ont pas de problème d’argent, si ce n’est d’argent de poche. Il y a les étudiants qui bénéficient de bourses et d’allocations familiales. Enfin, certains étudiants ne connaissent aucun problème d’argent, du fait qu’ils exercent une activité professionnelle rémunérée par ailleurs. Ainsi, un étudiant apparemment riche peut très bien être un étudiant qui précarise ses études ; et un étudiant apparemment pauvre peut en réalité vivre tout à fait confortablement.
Les étudiants français vivent-ils mieux que leurs homologues européens ?
De manière schématique, on peut dire que les pays du nord de l’Europe - Pays-Bas, Finlande, Allemagne, etc. - affichent une politique volontariste d’accueil des étudiants en logement collectif. Les pouvoirs publics investissent beaucoup dans les équipements, type cités universitaires. Dans le sud de l’Europe au contraire, la plupart des étudiants vivent au domicile familial. Les chiffres le prouvent : en Italie, 4 % des étudiants vivent en résidence collective et 70 % chez leurs parents, contre 24 % et 6 % en Finlande. La France est dans une situation intermédiaire : 15 % de nos étudiants vivent en résidence collective et 45 % chez leurs parents.
Chaque année, 20 % des étudiants abandonnent leurs études sans diplôme. Quelles sont les causes du décrochage ?
Les conditions matérielles ne jouent pas un rôle déterminant à elles seules dans le phénomène de décrochage. De plus, il faut bien différencier les étudiants qui abandonnent effectivement leurs études de ceux qui n’obtiennent pas le diplôme de la discipline dans laquelle ils se sont inscrits en début d’année scolaire. Les réorientations en cours de cursus sont nombreuses, tout comme les inscriptions hasardeuses.
La crise économique a-t-elle des conséquences sur le quotidien des étudiants ?
Certains signes montrent d’ores et déjà que la crise a eu des incidences sur la condition de vie étudiante. Les offres d’emplois à durée déterminée se raréfient. Les demandes de bourses auprès des Crous ont augmenté. Les parents qui se retrouvent au chômage ou en situation précaire peuvent difficilement continuer à soutenir financièrement leur enfant. De plus, toute crise économique engendre une pression supplémentaire sur les études supérieures : les étudiants savent que leur chance de trouver un emploi est moindre, ils estiment plus sûr de poursuivre leurs études, le plus longtemps possible. Par exemple, les universités, notamment Rennes-II, qui craignaient une baisse des effectifs à cause du mouvement étudiant l’année dernière, ont vu leurs inscriptions augmenter à la rentrée 2009.
Comment jugez-vous l’attitude de l’Etat ?
Je crains qu’il n’ait pas pris la mesure de la situation. Le gouvernement devrait revaloriser les bourses étudiantes et les étendre à davantage d’étudiants. Il devrait aussi rendre plus compatibles études et emplois. La France a pris un retard considérable dans la construction et la rénovation de cités universitaires. C’est la priorité.
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